Editorials

- Isabella Lenarduzzi

Les succès et les défis des plans d’action en matière d’égalité professionnelle

Les quotas enfin à l’ordre du jour en Europe

Cette semaine nous célébrons le succès de la Commissaire Reding qui a fait adopter sa proposition de directive pour un quota de genre (femmes ou hommes) dans les Conseils d’Administration des sociétés cotées en bourse, par le collège de la Commission Européen (le gouvernement européen). Sa ténacité, sa détermination et son courage sont à saluer. Elle-même déclare que cela fut son combat le plus difficile en 40 ans de carrière politique. C’est dire la force des résistances au changement quand il s’agit de partager le pouvoir ! Tout le monde est d’accord pour dire que les quotas sont un scandale …  mais ce qui est scandaleux c’est qu’on doive y avoir recours pour qu’à mérite égal, les femmes aient enfin accès aux CA dans un laps de temps raisonnable. Voici donc une première étape de franchie au grand dam de la Grande Bretagne ou de l’Allemagne par exemple. Mais il reste le Parlement Européen à convertir et surtout le Conseil Européen qui représente les états membres de l’Union Européenne. Ce n’est pas encore gagné …

Certains pays en Europe (6) ont anticipé la directive européenne en légiférant. C’est le cas de la Belgique qui doit passer d’un chiffre de 18 de femmes dans les CA à 33% en 2018. 5 ans pour tripler le nombre de femmes … il ne faut pas s’endormir en chemin ! Mais les résultats norvégiens de la première législation de quotas au monde (depuis 2008) ont prouvé que cela avait peu d’impact au niveau du nombre de femmes dans les comités de direction. Et pourtant c’est bien à ce niveau-là qu’est le vrai pouvoir … celui exécutif ! En général le nombre de femmes dans les comités de direction est inférieur à celui dans les Conseils d’Administration. Ce tableau reprend la situation ailleurs

Plus important que les CA, les Comités exécutifs !

Le nombre de femmes dans les comités de direction est le résultat direct de leur positionnement au sein de l’entreprise concernée. Ce n’est pas le cas pour les Conseils d’ Administration. Avoir une place au comité de direction c’est avoir réussi à graver tous les échelons dans sa carrière. Donc avoir plus de femmes à ce niveau-là c’est profiter des fruits d’une stratégie gagnante en matière d’égalité professionnelle mais c’est aussi le meilleur réservoir qui soit pour alimenter en femmes les CA d’autres entreprises ! Au sein du BEL20 (indice de la bourse de Bruxelles), la moitié des entreprises n’a aucune femme dans son comité exécutif …

Malgré des progrès flagrants, notamment en termes de représentation politique grâce aux quotas, la Belgique traîne encore dans le classement du World Economic Forum sur la participation des femmes à l’économie et leur opportunité d’y utiliser tous leurs talents. En Belgique, contrairement à la situation en France, les entreprises qui ne respectent pas les lois sur l’égalité professionnelle ne font pas (encore) l’objet de sanctions. Dans ce contexte, un prix qui encourage les initiatives innovantes en matière de mixité prend une dimension encore plus importante.

4 années de prix de l’ambassadeur de l’égalité professionnelle

La méritocratie ne peut être atteinte sans un profond changement de culture et de pratiques au sein de chaque entreprise. Le changement demande de la passion et de l’engagement. C’est l’attitude des dirigeants qui inspirera celle de reste du management et garantira la réalisation des objectifs. C’est la raison pour laquelle JUMP a créé le Wo.Men@Work Award avec Coca-Cola Enterprises afin de célébrer les dirigeants qui s’investissent et de choisir le meilleur d’entre eux pour devenir l’ambassadeur de l’égalité professionnelle auprès de ses pairs.

Après 4 éditions du Wo.Men@Work Award et 44 entreprises candidates, nous sommes en mesure de tirer les conclusions suivantes :

  • L’engagement personnel du chef d’entreprise est probablement le facteur de succès en matière d’égalité le plus décisif. C’est elle ou lui qui transforme profondément la culture et les procédés de son organisation pour la rendre plus inclusive pour tous les types de leadership. Le Wo.Men@Work Award contribue à sa notoriété en reconnaissant son action et à sa diffusion aussi bien en interne qu’auprès des autres entreprises.
  • Depuis la première édition en 2010, nous avons constaté une très nette amélioration des dossiers de candidatures avec de meilleurs chiffres concernant les femmes dans les postes de décision. Il est très encourageant de constater que ces investissements de temps et d’efforts ont été poursuivis malgré la crise et se traduisent par une meilleure efficacité des mesures prises. Les nominés sélectionnés en 2013 sont ceux qui ont gardé cette avancée vers plus d’égalité malgré les réductions du personnel.
  • Nous voyons également une amélioration continue des pratiques et des politiques RH. Il y a de plus en plus de mesures mises en place pour compenser les obstacles auxquels les femmes font face dans leur progression de carrière :  les programmes de développement spécifiques pour femmes, réseaux de femmes ou mixtes mais dédiés à l’avancée des femmes, flexibilité, accompagnement de la maternité et (nouveau) de la paternité active, visibilité des femmes, mentoring et sponsoring en interne et/ou externe et enfin des mesures qui visent à rattraper l’écart salarial quand c’est nécessaire .
  • Ces mesures concernent de plus en plus de monde au sein de l’entreprise.
  • Les meilleurs résultats apparaissent quand le sujet de l’égalité professionnelle devient stratégique, qu’il est donc soutenu et évalué par la direction de l’entreprise et mis en place par un ensemble coordonné de mesures par les équipes RH.
  • Par contre nous constatons une faiblesse au niveau de l’utilisation irrégulière et insuffisante des indicateurs clés et des outils de mesure. Trop nombreuses sont encore les organisations qui n’ont aucune idée d’où se situe le problème de rétention et de promotion des talents féminins. Et trop peu évaluent régulièrement les mesures d’égalité mises en place.  Ce manque d’utilisation des indicateurs de genre menace la pérennité et l’efficacité des dispositifs … « what gets measured, gets done » ! Il est devenu inconcevable de gérer les finances, la production ou les ventes sans indicateurs de performance (KPI’s), alors pourquoi sans priver pour une gestion sérieuse et rigoureuse de l’égalité et de la diversité ?

Pour réussir cette entreprise il faut adopter un plan d’action complexe.  Encore une fois c’est McKinsey qui montre la voie en déterminant 41 mesures minimum  à prendre classées dans 3 catégories : engagement de la direction, programme de développement professionnel pour femmes et indicateurs de la diversité. Les études « Women Matter » faites sur des moyennes européennes, ont été cette année, complétées par des analyses plus fines sur 9 pays dont la Belgique. Son auteur, Mieke Van Oostende répond à nos questions et présentera ses résultats lors de la cérémonie du Wo_Men@Work Award qui aura lieu le 4 décembre chez AXA à Bruxelles. L’enquête révèle que seulement 22% des entreprises sondées ont mis en place plus de 20 initiatives (sur les 41 recommandées) alors que la moyenne pour l’Europe est de 47%. Pire encore, seulement 13% des entreprises ont pris 50% des mesures identifiées contre une moyenne de 40% en Europe ! Et tout ça uniquement sur les entreprises qui ont accepté de répondre à McKinsey. On peut aisément imaginer que ceux qui n’ont pas répondu n’ont même pas commencé !

JUMP a profité des recommandations de McKinsey pour vérifier le positionnement de son offre par rapport aux 3 catégories. Nous proposons au moins un outil par catégorie.

Arrêtons nous sur 2 catégories essentielles pour réussir un plan d’égalité : l’offre de programmes de développement pour femmes et l’implication du top management.

La plupart des entreprises belges (contrairement à beaucoup de pays européens mais c’est encore pire en allemagne) sont réticent à la mise en place d’initiatives spécifiques en matière de formation pour femmes car elles ont peur d’être perçues comme favorisant les femmes au détriment des hommes avec des actions considérées comme dela discrimination positive. C’est oublier que les femmes sont depuis relativement peu de temps dans les entreprises et que celles-ci ont déceloppé un modèle de leadership sur des centaines d’années fait par les hommes et pour les hommes. Les femmes doivent regagner en assertivité, trouver leur propre modèle, comprendre les règles « non-écrites » des promotions et être actrices de leur carrière.  On trouve une belle démonstration dans  le McKinsey Quarterly qui affirme que seulement 18%  les femmes middle managers ont l’ambition d’arriver au top management contre 36% des hommes du même niveau de fonction. Tout le monde ne doit pas nécessairement avoir cette ambition ni y arriver mais c’est la différence d’ambition sur laquelle il faut travailler en rendant plus claires ces fonctions de pouvoir et la façon d’y arriver. C’est l’ambition de la Woman’s Academy de JUMP et du Forum JUMP entre autres.

Une autre piste pour mieux utiliser tous les talents, c’est de rendre davantage visible l’engagement du CEO auprès de l’entreprise et de l’extérieur. En effet, si 92% des dirigeants des entreprises analysées se sentent personnellement investis dans une volonté d’avoir plus d’équilibre entre le nombre d’hommes et de femmes dans le management, 62% de ceux-ci et seulement 36% des senior managers pensent que cet engagement est suffisamment clair pour être efficace ! Le changement demande de la passion et de l’engagement. C’est l’attitude des dirigeants qui inspirera celle des seniors et des middle managers. C’est leur participation active à tous les événements de l’égalité qui démontrera leur détermination. C’est la raison pour laquelle JUMP a créé le Wo_Men@Work Award afin de célébrer les dirigeants qui s’investissent et de choisir le meilleur d’entre eux pour devenir l’ambassadeur de l’égalité professionnelle auprès de ses pairs.

Isabella