Editorials

- Isabella Lenarduzzi

Dieu est une femme ou comment l’histoire collective marque profondément nos destins individuels.

Saviez-vous que la première femme d’Adam n’était pas Eve ?

Saviez-vous qu’avant d’avoir un Dieu le père, nous avons prié une Déesse mère ?

Pour que nous comprenions davantage l’enjeu de l’égalité des sexes (que l’on appelle désormais l’égalité des genres car heureusement on ne se limite plus au sexe génital mais à la construction d’une identité sociale) il est essentiel de connaître l’histoire des relations entre les femmes et les hommes.

Je suis une entrepreneuse sociale depuis presque 30 ans. J’ai créé beaucoup d’événements et de médias dans le domaine de l’éducation, de l’emploi et de l’économie. Par mon éducation et mes réalisations professionnelles, je n’avais pas conscience qu’il pouvait y avoir des limites propres à mon genre, les femmes.

C’est une forme d’inconscience qui est partagée par la plupart des femmes. Nous sommes portées par l’apparente victoire des féministes qui nous ont précédés. Leurs combats paraissent désormais d’arrière-garde et nous pensons que cette étiquette de revendication ne sert pas notre capacité de séduction.

Il est indéniable que dans notre partie du monde, nous avons acquis les mêmes droits, et que toute discrimination sur base du sexe est désormais interdite. Mais est-ce pour autant que nous sommes vraiment les égales des hommes ?

Chaque femme porte en elle les stigmates de la longue histoire des femmes. La connaissance de cette histoire est fondamentale pour comprendre nos peurs et nos difficultés de relations avec les autres femmes et avec les hommes.

Notre véritable liberté à tous passe par la prise de conscience que nos valeurs, nos comportements et nos croyances sont le résultat de l’histoire de l’humanité. C’est alors que nous pouvons les remettre en question et nous forger notre propre opinion.

Mais tout un pan de l’histoire de l’humanité est englouti. Seule l’histoire du patriarcat sera présentée à tous comme la seule et unique Histoire officielle.

Dieu était une femme

Cela fait très peu de temps que les archéologues ont découverts que les statuettes datant des 20 000 ans de la préhistoire, n’étaient pas utilisées pour des rituels de la fertilité mais représentait la Déesse Mère, celle considérée à l’origine de toute la création.

Notre connaissance de l’antiquité nous a fait accepter qu’il y avait bien des déesses aux côtés des dieux mais pas une seule Déesse Mère sans Dieu. Malgré les découvertes de James Mellaart en Anatolie qui a expliqué la continuité religieuse entre le paléolithique et le néolithique, les pratiques rituelles autour de la déesse sont encore trop souvent désignées comme un culte et non comme une religion. La Déesse elle-même est souvent écrite avec un petit d alors que Dieu prend toujours une majuscule.

Ces interprétations reflètent le conditionnement dans lequel nous vivons qui est un monde dominé par les hommes et par un Dieu Père depuis 2 000 ans.

Plus on l’étudie et plus on s’aperçoit que cette religion a couvert une époque longue et complexe d’un type de civilisation très différent du nôtre.
On estime que le culte de la Déesse Mère perdure entre 25 000 ans avant JC jusque 7 000 ans avant JC . Vient ensuite une période avec plusieurs déesses qui côtoient plusieurs dieux. C’est l’empire romain qui fermera les derniers temples vers l’an 500.

La civilisation de la Déesse Mère connaissait une forte division des tâches entre les femmes et les hommes mais pas une supériorité de l’un ou l’autre. Leur système de valeurs était basé sur l’art, la coopération, le spirituel, pas sur la guerre et la domination.

Mais pourquoi a-t-on adoré une femme aux débuts des temps ?

Il semble qu’à l’époque ils n’aient pas compris le lien entre l’acte sexuel et la fertilité. Il n’y avait donc pas de filiation par le père. Les enfants prenaient le nom du clan de la mère. C’est ce que l’on appelle une société matrilinéaire et non matriarcale qui implique une forme de domination.

La femme était donc vénérée pour sa capacité à donner la vie. La sexualité était vécue comme sacrée et n’était pas exclusive. Les religions qui ont suivi ont toutes coupé le sexe de la spiritualité.

Dès lors que les hommes ont compris leur rôle dans la procréation, le concept de virginité et de fidélité est né. Ils ont alors créé son écrin : le mariage ! Les hommes se sont ainsi approprié le ventre des femmes et par conséquent les enfants à qui ils transmettaient leurs terres et leurs biens. Derrière la façade morale et religieuse, se jouait un enjeu économique qui allait leur octroyer le pouvoir.

Au fur et à mesure du temps, les déesses ont dû prendre des maris. D’abord plus petits en taille et en importance, ils ont vite acquis la première place. De la conception d’un Dieu placé au-dessus des autres dieux parce qu’il est le plus fort, on arrive à la conception d’un Dieu unique, père de la création. L’arrivée d’un Dieu unique et mâle va aller de pair avec la création d’une femme comme créature secondaire servant à distraire le premier homme.

Désormais il n’y aura plus de prêtresse mais que des prêtres. Puisqu’on ne peut pas retirer le pouvoir de procréation à la femme, il sera considéré sous le signe de la malédiction « tu enfanteras dans la douleur ». La toute-puissance de la paternité interdit désormais le plaisir féminin qui est bien trop dangereux pour la fidélité. La maternité est la seule possibilité de retrouver du pouvoir à condition que l’enfant soit un garçon. La vie spirituelle appartient à Adam tandis qu’Eve se contente du côté matériel de la vie, donc de la mort. Elle est l’instrument du péché.

Eve ne peut que suivre et servir l’homme, son maître. La femme de l’époque de la Déesse mère était au contraire honorée par les hommes et se considérait comme un être à part entière qui n’avait rien à envier aux hommes. Ce climat était évidemment favorable à sa confiance en elle et à son épanouissement. Sans doute sommes-nous loin encore aujourd’hui d’avoir reconquis ces conditions intérieures malgré l’égalité de nos droits.

Mais Eve est-elle vraiment la première femme d’Adam dans les écritures ?

Voici ce qu’on lit dans le Zohar : « Lorsque Jéhovah créa Adam, il créa en même temps une femme, Lilith, comme lui tirée de la terre. Elle fut donnée à Adam comme épouse. Mais il survint une brouille dans le ménage, pour une question qui devant les tribunaux ne pourrait se débattre qu’à huit clos. »
La dispute était donc d’ordre sexuelle. Lilith refusait d’être constamment sous Adam pendant l’acte sexuel. Lilith réclamait l’égalité. Adam la lui nia. Elle est donc partie. La menace de tuer cent de ses enfants par jour ne la fit par revenir. A partir de là, Lilith symbolise la puissance féminine maléfique, démon aux longs cheveux, avec des ailes, un corps de serpent et des griffes. Il fallait bien associer la liberté de la femme à une image terrifiante pour que l’homme et la femme la repoussent à jamais.

Une autre représentation essentielle pour la création de l’identité des femmes est la Vierge Marie. La Vierge est la servante et la mère de Dieu. Avec elle, on crée un modèle totalement inaccessible de soumission et de procréation sans sexe.

Les hommes se sont servis de la cause de Dieu pour accomplir leurs plus grands crimes Pendant des siècles, toute femme est considérée comme une sorcière en puissance. Elle peut être dénoncée et torturée pour retirer des aveux. Elle sera transpercée à différents endroits de son corps par une aiguille pour être sûr qu’elle n’est pas possédée par le diable. Et quoi qu’il en soit elle terminera sur le bûcher.

L’histoire collective marque profondément nos destins individuels.

Celui qui détient le pouvoir économique détient aussi le pouvoir et la liberté. Ces 5 000 dernières années ont été des millénaires de souffrance pour les femmes puisqu’elles faisaient partie des biens de propriété de leur père et puis de leur mari. Un bien que l’on peut vendre et échanger. C’est encore comme cela dans une grande partie du monde.

La peur des femmes a suscité un féminicide terrifiant qui se traduit encore aujourd’hui par les viols et la violence conjugale. Mais le combat a une origine plus archaïque. Il s’agit de la lutte contre la Déesse mère pour prendre le pouvoir.

Chaque femme porte la trace de cet asservissement. Qu’elles en aient conscience ou non, les femmes sont encore complètement imprégnées d’un sentiment d’infériorité, de dépendance et de soumission, qu’elles ont toutes intériorisé même si elles s’en défendent et même si elles se révoltent. Nous avons le mépris de notre propre sexe. Nous sommes souvent des juges impitoyables de nous-mêmes et des autres femmes.

La femme vit encore souvent l’homme comme un oppresseur dont elle est la victime parce qu’elle s’efforce de le satisfaire, parce qu’elle tourne autour de ses besoins parce qu’elle veut se rendre indispensable pour se faire aimer. L’homme est victime de cette situation dégradée tout autant que la femme.

Comment expliquer que les femmes ne se sont pas coalisées pour retrouver leur liberté ?
Pendant longtemps les femmes n’ont pas cherché à s’affranchir. Il est souvent plus facile de se mettre sous la responsabilité d’un autre. Il y a une forme de confort dans la soumission voir même de jouissance et de force mais qui basculent souvent dans l’impuissance résignée et désespérée. Les femmes aiment par-dessus tout aimer les hommes. Leur révolte est donc superficielle et les empêche de se solidariser avec les autres femmes pour gagner leur liberté.

La femme veut aimer. L’homme veut conquérir.

Voici ce qu’écrit David Servan-Schreiber dans « On peut se dire au revoir plusieurs fois » :Le domaine où j’ai le moins réussi, je dois l’avouer, est celui de l’amour. Pour une raison mystérieuse, je n’ai pas su aimer les femmes comme j’aurais aimé les aimer. Une histoire d’amour, c’était d’abord une histoire de conquête, puis une histoire d’occupation. Un pur rapport de force dans lequel l’homme avait intérêt à se tenir dans la position dominante, à garder la femme sous sa coupe s’il veut éviter qu’elle se rebelle. Impossible d’imaginer une relation harmonieuse, un rapport fondé sur l’échange, ou une quelconque égalité des partenaires. …
Heureusement j’ai fini par me débarrasser de ces idées grotesques. J’ai finalement été capable de vivre de vraies histoires d’amour avec des femmes qui étaient mes égales humainement et intellectuellement. J’ai pu abandonner le rôle frustrant de « tuteur ». J’ai appris qu’il y avait bien plus de plaisir à donner et recevoir qu’à dominer ou à s’imposer par la séduction.

La « raison mystérieuse » dont David Servan-Schreiber parle ce sont des siècles de patriarcat basé sur la domination des hommes sur les femmes. Ce ne sont pas 70 ans de droits des femmes qui vont réussir à transformer notre culture, nos relations et nos conditionnements.
Nous vivons en ignorant les traces laissées par des millions d’années de relations conflictuelles entre les femmes et les hommes.

La plupart des hommes et des femmes sont encore en guerre. La femme tient souvent la position de victime et l’homme reste l’oppresseur. L’homme dominant vit en pleine contradiction : il dit vouloir Eve à la maison mais il rêve d’une Lilith. Il est toujours tenté de trouver une autre femme que la sienne. Ce déséquilibre se traduit en nombre de divorces.

Le droit de vote, le droit de disposer de son corps et la contraception sont des étapes indispensables à l’indépendance de la femme. L’équation femme = mère disparaît. L’homme n’a plus le contrôle sur la sexualité de la femme. La femme reprend la maîtrise de la procréation. C’est la condition sine qua non pour son nouvel épanouissement.

Depuis les années 80, de plus en plus de femmes partent à la reconquête de leur estime de soi en se battant comme les hommes tout en gardant leur féminité extérieure. Elles deviennent aussi performantes économiquement mais gardent la plupart des tâches domestiques et familiales à leur charge, s’épuisant littéralement. Les femmes jouissent de moins de temps libre que les hommes et dorment beaucoup moins.

Beaucoup de femmes dépensent énormément d’énergie pour correspondre à un idéal de beauté, pour séduire. Elles courent après la perfection physique mais aussi pour remplir à la perfection tous les rôles qu’on lui attribue « naturellement » ainsi que ceux qui lui sont enfin autorisés. Mais cette recherche d’équilibre dans la perfection et la séduction prend énormément de temps et d’énergie. Elles sont alors trop peu à avoir assez d’élan et d’audace pour créer de grands projets ou pour innover. Ce manque de force s’ajoute aux stéréotypes auxquels les femmes doivent faire face. On leur demande toujours de faire leurs preuves bien plus qu’aux hommes. Leur légitimité n’est pas automatique.
Elles tentent donc constamment de se persuader et de persuader leur entourage de leur valeur au travail comme à la maison.

La femme qui atteint un certain niveau de réalisation intérieure, de conscience individuelle, se sent appelée à participer activement à l’évolution collective. C’est certainement parce que j’ai fait une partie de ce chemin que j’ai voulu créer JUMP qui a pour objectif l’égalité professionnelle en travaillant avec les femmes mais aussi avec les entreprises.

Les femmes ont quelque chose en plus à reconquérir que leurs droits. Il s’agit de leur fierté et de leur dignité. Elles doivent reconquérir leur pouvoir intérieur, ce que j’appelle la puissance. La révolte n’est encore que l’expression d’un rapport de force. La femme doit trouver la voie de son affirmation sereine, de son identité intérieure.

Notre véritable liberté passe par la prise de conscience que nos valeurs, nos comportements et nos croyances sont le résultat de l’histoire de l’humanité. C’est alors que nous pouvons les remettre en question et nous forger notre propre opinion, créer notre vie. Au niveau du couple, il faut le préalable de deux libertés pour que dure un amour authentique.

Les femmes n’ont pas encore revivifié leur force intérieure, leur puissance.
Pour trouver l’amour de soi, il faut arrêter de se sentir rivale des autres femmes dans la séduction à l’égard de l’homme. Il faut rentrer dans des relations de sororité avec les autres femmes.

Chez JUMP nous avons fait réaliser une « perle de la sororité »par des tibétaines vivant en exil en Inde. Donnez cette perle à une femme en laquelle vous croyez et dont vous soutiendrez les projets de vie. En la mettant dans son portefeuille ou accroché à son sac, chaque fois qu’elle la verra, elle se rappellera que quelqu’un croit en elle et cela lui donnera de la force.

Une nouvelle façon de penser est essentielle si l’humanité veut vivre.

Une des conséquences de la domination des hommes est la disparition ou la dévalorisation des valeurs féminines. La guerre, le pouvoir, l’argent, le sexe coupable et brutal mènent le monde. Les hommes aussi souffrent. Ils souffrent des dégâts que cela génère et ils souffrent parce qu’ils sont coupés de leur féminité intérieure. L’évolution de l’un passe par l’évolution de l’autre.

Dans nos pays, nous sommes au crépuscule du patriarcat. Si enfin une femme vaut un homme, il est urgent que les valeurs du féminin (émotion, vulnérabilité, communication, ..) aient autant d’importance que les valeurs du masculin (intellect, force, compétition, ..).

Ce ne sont pas seulement plus de femmes qui doivent entrer dans les fonctions de pouvoir au niveau politique et économique, il faut aussi renforcer les valeurs féminines portées par des hommes et par des femmes qui ont compris le sens profond de la vie et qui dirigeront le monde de façon plus équitable, juste, solidaire et durable.
Cette évolution est notre chance et de notre responsabilité.

La réconciliation entre nos dimensions masculine et féminine fera naître notre puissance et notre réussite individuelle et collective.

Passer de la domination ou de la compétition à la coopération entre les hommes et les femmes, c’est le prochain saut de civilisation.

Laissons le mot de la fin à Paule Salomon auteure de “la Femme Solaire”, livre initiatique pour toute femme désirant avancer sur le chemin de son authenticité: «  Il est temps de passer de l’amour du pouvoir au pouvoir de l’amour ».