Editorials

Ecart salarial & Mixité des métiers

Contribution Isabella Lenarduzzi pour la Conférence annuelle sur l’emploi – Bruxelles 2023

1. L’égalité des salaires est une condition sine qua non de l’égalité. Pourtant, aucun pays n’a encore réussi à assurer cette condition basique de non-discrimination.

Voilà pourquoi la Belgique a voté une loi spécifique contre l’écart salarial en 2012, exigeant des grandes entreprises la publication de statistiques genrées de salaires dans les bilans sociaux qui doivent être suivis d’une concertation et de l’adoption de plans d’égalité.

Cette loi devrait être revue dans le cadre de la transposition de la directive européenne sur la transparence salariale. C’est une opportunité unique de rendre la loi de 2012 réellement effective et de mettre un terme à cette discrimination de traitement.

La Banque Nationale de Belgique a la responsabilité de vérifier la conformité des bilans sociaux. Pendant quelques années, elle a réalisé des rapports consolidés sur les écarts salariaux rapportés dans ces bilans. Elle ne le fait plus. Le CEFH demande que l’Etat fédéral rappelle la BNB à ses obligations en exigeant ces rapports consolidés et l’envoi d’un rappel à l’ordre aux entreprises qui ne donnent pas de ventilation des rémunérations par sexe ou qui révèlent un écart salarial supérieur à 5% (comme dans la directive européenne).

À ce jour, aucun organisme ne vérifie la saisie des données, qu’il s’agisse de leur existence même ou de la méthode utilisée pour les calculer. Il est évident qu’aucune sanction ne peut être appliquée sans une vérification et un contrôle approprié.

Dans le cadre de la révision de la loi de 2012 avec la directive européenne, le CEFH préconise les actions suivantes :

–             Établir un outil de mesure commun, similaire à l’index Pénicaud en France qui a été négocié entre partenaires sociaux

–             Rendre obligatoire la publication annuelle des résultats, qui doivent être facilement accessibles en ligne

–             Exiger la publication d’un plan d’action en cas d’écarts salariaux

–             Vérifier chaque année la cohérence et la mise en place effective de ces plans d’action par des outils de mesure.

2. Mixité des métiers (ségrégation horizontale sur le marché du travail)

Les femmes sont plus souvent à temps partiel. Elles occupent des emplois plus précaires (CDD, intérim) et des postes “déclassés” (dont le niveau de qualification est inférieur à leur niveau de formation). Mais en plus, elles sont plus nombreuses dans les métiers les moins rémunérés de notre économie. Non seulement il y a encore trop de femmes qui sont moins payées pour faire la même chose que les hommes ou pour faire des métiers de valeur égale, mais une grande partie des différences de revenus s’explique parce qu’elles ne font justement pas les mêmes métiers ou n’occupent pas les mêmes fonctions.

Seule une minorité de métiers sont vraiment mixtes, c’est-à-dire comptant au moins 40% d’hommes ou de femmes parmi leurs effectifs. Des ingénieurs en informatique en passant par les métiers techniques de l’industrie et les cadres du bâtiment et des transports, de nombreux métiers restent désespérément masculins. Mais les métiers qui contribuent le plus à la ségrégation sexuée sont les métiers domestiques (auxiliaires de vie, assistantes maternelles, femmes de ménage) où l’on compte plus de 95% de femmes.

https://statbel.fgov.be/fr/themes/emploi-formation/marche-du-travail/les-professions-en-belgique#panel-11

En avril 2021, l’IEFH rapporte les chiffres suivants dans son analyse d’impact du plan de relance « Les hommes sont par exemple très majoritaires dans les secteurs de la construction (91,4%) ; de la gestion de l’eau et des déchets (80,3%) ; de l’énergie (69,1%) ou dans celui des activités scientifiques et techniques (58%). A contrario, les femmes sont surreprésentées dans les secteurs de la santé et de l’action sociale (78,8%) dans l’enseignement (68,9%) et dans le secteur des services administratifs (57,4%) . Au niveau des professions, on trouve 86,9% d’hommes parmi les analystes systèmes ; 81,7% parmi les concepteurs de logiciels ; 84,4% parmi les “managers en technologies de l’information et des communications” et 89,3% parmi les techniciens de la production et de l’industrie. Les femmes sont quant à elles ultra-majoritaires parmi les “aides de ménage à domicile” (97,1%) ; les “aides-soignants à domicile” (98%) ; le “personnel infirmier de niveau intermédiaire” (91,8%) ou les “instituteurs de l’enseignement primaire” (81,5%). »

Il existe beaucoup plus de métiers masculins que de métiers féminins. L’éventail d’options professionnelles qui « s’offrent » aux femmes reste plus étroit que celui qui « s’offrent » aux hommes.

Les femmes s’orientent en grand nombre dans les services à la personne, la santé, l’action sociale, l’enseignement et les postes d’employées dans les banques et assurances. Dans tous ces secteurs, elles forment plus de 60% des troupes. L’impact sur l’écart de salaire de ces rôles stéréotypés sur le marché du travail est essentiel.

La division sexuelle du travail est à la fois horizontale (le care pour les femmes et le reste pour les hommes) et verticale (le pouvoir pour les hommes et les positions de support pour les femmes). Elle explique des écarts de revenus importants. D’une manière insidieuse, les secteurs féminisés sont maintenus à des niveaux de revenus faibles et ceux qui se féminisent se paupérisent petit à petit. Les métiers masculins sont en moyenne plus valorisés et les emplois sont de meilleures qualités.

S’il faut casser les stéréotypes pour attirer des hommes dans les emplois massivement occupés par des femmes et vice-versa, les campagnes de sensibilisation ne suffisent pas et peuvent même causer souffrance et abandon du marché du travail dans le chef des femmes. En effet, l’expérience des hommes dans les secteurs dits féminins est extrêmement différente de celle des femmes dans les métiers dits masculins. Les hommes bénéficient de ce qu’on appelle un « ascenseur de verre » (exemple dans le Canton de Vaud, si les hommes sont 12% des infirmier.es, ils sont 46% des chef.fes de service) alors que les femmes subissent des violences sexistes et sexuelles au cours de leur formation qui persistent souvent dans l’exercice de leur métier.

Elles se retrouvent en milieu hostile et doivent subir de constants rappels à la norme. Pour permettre la mixité des métiers, il faut sortir du déni de cette hostilité en rendant responsables les écoles et les entreprises, des comportements dégradants voir violents. Il faut former, responsabiliser et rendre obligatoire l’adoption effective d’une politique de tolérance zéro.

L’incitation, les campagnes de communication et les « role models » ont montré leur totale inefficacité ces 20 dernières années. Les femmes choisiront des environnements de formation et de travail où elles seront certaines d’être traitées avec respect et égalité. Le CEFH recommande également de mettre un seuil minimum de représentation de chaque genre au sein de toutes les formations qualifiantes pour les métiers en pénurie et de favoriser des formations uniquement pour femmes aux métiers majoritairement occupés par des hommes.