Editorials

- Isabella Lenarduzzi

Là où les hommes ont échoué, une femme peut-elle réussir ?

La composition du nouveau gouvernement donne une nouvelle preuve qu’il existe un plafond de verre (glass ceiling) pour les femmes mais il fait pire … il révèle l’existence d’une falaise de verre (glass cliff).

4 femmes sur 18 ministres dans le nouveau gouvernement fédéral. Aucune mention de la compétence « égalité » dans les portefeuilles. Celle-ci ira-t-elle à Elke Sleurs de la N-VA, Ministre de la Lutte contre la fraude et la pauvreté ? Si cette inconnue tend à prouver le peu de cas que ce nouveau gouvernement fait à la question de l’égalité, il est déjà certain qu’il n’y aura pas de Ministère des Droits des Femmes comme demandé par les organisations féministes et JUMP. Et pendant ce temps-là la commission du Sénat qui doit donner son avis sur l’égalité entre les femmes et les hommes pour les nouvelles lois, est menacée de disparaitre.

Ne nous trompons pas … il n’y a pas que les gouvernements de droite qui se passent des femmes. Le gouvernement wallon ne compte qu’une femme sur 8 et malgré tous les efforts de Jean-Claude Juncker, les Etats membres n’ont proposé que 9 femmes sur 28 pour composer la nouvelle Commission Européenne. Ce n’est pas juste une question d’équité et de besoin de refléter le monde réel qui comporte plus de la moitié de femmes et 60% des diplômés universitaires. Toutes les études démontrent que plus de mixité et plus de diversité dans les équipes, en augmente sensiblement la qualité et la performance de l’organisation qui en bénéficie. Il sera d’autant plus difficile d’imposer un quota de genre aux entreprises cotées en bourse alors que l’institution ne l’applique par pour elle-même (la Belgique oblige à atteindre 33% de représentation du genre minoritaire dans les CA en 2018 et l’Europe veut 40%. Nous sommes à 17% pour notre pays et 18% en moyenne pour l’UE).

La Belgique se porte-t-elle trop bien que pour avoir besoin du talent des femmes ?

Le dernier numéro du magazine Fortune est consacré aux 50 femmes les plus puissantes du monde (Bravo à notre Dominique Leroy qui est septième pour la région EMEA). La rédaction se réjouit que le nombre de femmes ceo au sein du Fortune 500 soit passé à près de 5% (sic) mais avec une tendance commune sur quasiment tous les continents et dans tous les secteurs et une accélération ces deux dernières années. L’éditeur responsable écrit dans son éditorial que les femmes qui ont réussi à briser le plafond de verre sont particulièrement remarquables, ayant dû affronter la sélection « hyper darwinienne » de la culture généralement machiste des entreprises. Mais il note aussi que ces « montons à 5 pattes » arrivent à la plus haute responsabilité des entreprises quand celles-ci traversent un moment extrêmement compliqué où il faut repenser le business pour survivre.

Il y a dix ans, deux professeurs de l’université britannique d’Exeter, utilisent pour la première fois le terme de « glass cliff » pour expliquer que les femmes obtiennent souvent des postes à responsabilité dans des entreprises qui sont menacées ou en forte perte de vitesse et qu’en plus elles ne bénéficient pas du même soutien de leurs collègue comparé à celui que recevrait un homme qui doit relever un pareil défi. Les exemples sont nombreux aussi bien dans le monde des affaires que celui de la politique :

–          Jill Abramson, première rédactrice en chef du New York Times qui est partie en claquant la porte car elle a découvert qu’elle était beaucoup moins payée que son prédécesseur et parce que son équipe ne la soutenait pas du tout.

–          Les femmes islandaises ayant pris le pouvoir politique et financier après le désastre économique de 2008

–          Meg Whitman et Carly Fiorina, nommées CEO de Hewlett-Packard ou Patricia Russo pour Alcatel-Lucent qui n’ont pas convaincu et sont devenues malgré elles des symboles de la non performance des femmes en temps de crise, sans parler de Zoe Cruz, co-présidente de Morgan Stanley en 2007 et qui en est devenue le bouc-émissaire alors qu’elle avait demandé à la banque de se retirer des « subprimes ». Elle fut remplacée par deux hommes …

–          Ségolène Royal, que les dinosaures du PS (et le père de ses enfants alors secrétaire général du parti) ont abandonné bien qu’elle ait été choisie par les militants pour affronter Nicolas Sarkozy

Le magazine Fortune tire le portrait de ces autres héroïnes qui font face à une terrible responsabilité …  Mary Barra, CEO de General Motors qui apprend quelques semaines après sa prise de fonction qu’il y a un défaut (connu d’autres managers) des air bags de la Chevrolet Cobalt ayant causé au moins 13 morts ; Ginni Rometty, ceo d’IBM qui doit repenser entièrement le business pour que l’entreprise survive; Idem pour Susan Cameron, ceo de Reynolds qui est revenue de pension pour réussir l’acquisition de Lorillard et transformer son industrie du tabac en industrie sans tabac ;
Sans oublier Janet Yellen, la présidente de la Banque fédérale américaine qui oriente sa politique vers une diminution du chômage et non plus vers une diminution de l’inflation contre l’avis des ténors du monde financier.

Pourquoi recruter les femmes pour les missions impossibles ?

Plusieurs études montrent que lorsque l’entreprise est en difficulté, les étudiants qui analysent le « business case » pour choisir un nouveau ceo, recherchent un autre type de leadership que celui effectif jusque-là et sont majoritaires à vouloir dès lors une femme pour remplacer un homme. On peut aussi vérifier que les salaires des femmes ceo sont globalement très inférieurs à celui des hommes ceo. Cela s’explique partiellement par les problèmes que rencontre l’entreprise au moment de la prise de fonction. La difficulté de la mission est donc un grand risque pour l’image et la carrière de celui ou de celle qui l’endosse et n’est de plus, pas récompensée financièrement. Il y a donc beaucoup moins de concurrence pour obtenir ce poste, ce qui laisse davantage d’opportunités pour des « outsiders » du « business as usual », donc en premier lieu, les femmes !

L’échec annoncé de Jacqueline Galant et de Marie-Christine Marghem ?

Les deux Ministres du MR pour les portefeuilles les plus dangereux sont deux femmes. Ce ne sont pas des fauteuils ministériels dont elles héritent mais des sièges éjectables. Comme le disait un banquier américain dans le Financial Times du 14 octobre 2009 “It’s typical. The men make the “mess” and the women come in to clean it up” (“C’est typique. Les hommes foutent le bordel et les femmes arrivent pour le ranger »).
Espérons qu’elles auront au moins la reconnaissance de l’extrême difficulté de leur tâche et qu’elles feront démentir le deuxième aspect de la Falaise de Verre, c’est à dire le manque de soutien de leur équipe (donc du gouvernement). Car si elles échouent ce ne sera pas considéré comme « Nathalie Dupont a échoué » mais comme « une femme qui échoue », comme chaque fois qu’une femme doit quitter un poste à haute responsabilité elle est traitée comme le symbole tout entier de son genre.

L’éditeur de Fortune termine son article en disant que les postes les plus précaires aujourd’hui sont occupés par des femmes et qu’il leur faudra des qualités exceptionnelles pour éviter l’échec. Mesdames les Ministres, je suis de tout cœur avec vous !