Le « sur-risque féminin » de la maison de retraite
Article Isabella Lenarduzzi, janvier 2023
Vous avez vu le reportage du JT de la RTBF Info sur ce couple limbourgeois qui fête ses 80 ans de mariage ? Rien ne vous a pas chipoté ? A presque 100 ans, il prend sa voiture pour venir la voir tous les jours … en maison de retraite alors que lui vit dans leur maison car il est manifestement en meilleure forme qu’elle. Et tout le monde de s’extasier devant ce modèle d’amour.
J’ai pris conscience très récemment que le grand âge pour les femmes était bien différent que pour les hommes. Si les femmes vivent environ 5 ans de plus en moyenne, elles vieillissent en moins bonne santé que les hommes et bien plus pauvres (30% de différence de retraite en Belgique et 40% en France, sans parler des différences de patrimoine). Voilà ce qui arrive bien plus souvent que son contraire : comme les femmes épousent généralement des hommes plus âgés qu’elles, ils vieillissent et se détériorent avant elles. Jusqu’à leur mort, ces hommes sont soignés par leur femme. Restées seules et appauvries, la probabilité des femmes d’aller en maison de retraite explose (même quand on neutralise le différentiel de longévité). Elles y sont 4 fois plus nombreuses que les hommes ! Malheureusement la féminisation de ces institutions ne les protège pas de la violence … celle de la déshumanisation du système (cf les affaires ORPEA et KORIAN) voir pire, mais aussi les violences sexuelles enfin révélées par Mediapart qui font dire au Ministre français des Solidarités que le nombre de victimes pourrait être « monstrueux » ! Toutes ces maisons ne se valent pas et toutes ne sont pas maltraitantes mais on a trop longtemps occulté leurs pratiques et les effets qu’elles peuvent avoir sur leur personnel et sur leurs résident.es. Il est reconnu qu’il vaut souvent mieux vieillir chez soi si on a suffisamment d’autonomie, un entourage présent et si on a les moyens de s’entourer de personnes aidantes.
Les statistiques démontrent que le mariage protège de l’entrée en maison de retraite. Mais beaucoup plus pour les hommes que pour les femmes ! Le couple limbourgeois en est la représentation. Si leur situation de santé était inversée, l’aurait-elle laissé aller dans un home (EHPAD en France) ? Bien sûr il y a des états de santé impossibles à gérer par l’autre membre du couple. Mais les chiffres confirment notre réponse intuitive. Et en ce qui concerne la situation des personnes isolées, lors d’une audition au Conseil bruxellois de l’égalité, Christine Mahy (réseau wallon de lutte contre la pauvreté) nous a appris que les hommes bénéficiaient plus rapidement d’une aide à domicile que les femmes. Cette inégalité de traitement résulte de nos biais qui nous portent à croire que les hommes se débrouillent moins bien seuls que les femmes, et du fait que les femmes se plaignent moins vite (phénomène validé scientifiquement).
La morale de cette histoire est toujours la même : quand on prend un homme et une femme dans une situation identique, leur vie sera malgré tout très différente. Et c’est toujours au détriment des femmes. Voilà pourquoi les politiques publiques doivent constamment considérer le prisme du genre pour ne pas renforcer ces inégalités.
Sources:
https://www.rtbf.be/article/80-ans-de-mariage-un-couple-fete-ce-lundi-les-premieres-noces-de-chene-belges-11144581
https://www.cairn.info/revue-population-2012-1-page-75.htm
https://www.mediapart.fr/journal/france/191222/violences-sexuelles-en-ehpad-les-femmes-vulnerables-sont-des-proies