Editorials

- Isabella Lenarduzzi

La fin de la carrière à tout prix et du sur-présentéisme au bureau ?

Lors du dernier Forum économique de Davos, Manpower à annoncer « l’ère de l’humain » c’est-à-dire que ce n’est plus le capital de l’entreprise qui forme le moteur de la croissance et de la performance mais le talent individuel. Donc après l’ère industrielle, l’ère spatiale et l’ère de l’information, nous sommes désormais à l’ère de l’humain. Le progrès n’est possible qu’en comptant sur les bons talents, au bon endroit et au bon moment. Trouver les bons talents sera désormais plus important que trouver du financement. Manpower appelle cela « passer du capitalisme au talentisme ». Ce n’est plus l’entreprise, mais le collaborateur ou collaboratrice talentueuses qui détermine où, quand et comment travailler.

On sait que les femmes risquent 3 fois plus que les hommes de partir de leur entreprise ou de leur fonction (opt out) quand les éléments de pression de responsabilité s’accumulent : longues heures, voyages, disponibilité constante, responsabilité pour le bénéfice et les pertes, charge de travail imprévisible, nombre de personnes à gérer, etc. Ces pertes pour l’entreprise arrivent juste au moment où les managers commencent à avoir des responsabilités de direction (environ 40 ans). Une perte de talents à ce stade-là est dévastatrice pour l’entreprise.

La société de conseil Bain&Company a publié une étude fin 2010 étudiant l’impact des mesures de flexibilité dans les horaires et les carrières au niveau des femmes et des hommes cadres.

Leurs découvertes allaient essentiellement dans deux sens :

  • Pour que ces programmes de flexibilité soient efficaces, il faut qu’ils soient personnalisés pour correspondre aux vrais besoins de chaque personne
  • Ensuite il faut convaincre que l’utilisation de la flexibilité ne va pas pénaliser la carrière de celle ou de celui qui va l’utiliser. Bref il faut que plusieurs dirigeants de l’entreprises, hommes et femmes, montrent le bon exemple en utilisant cette modalité de travailDès le moment où ces deux principes de base sont respectés, les résultats sont très efficaces aussi bien dans la rétention des meilleurs employés que dans leur satisfaction et loyauté : 25% d’augmentation de la rétention des hommes mais 40% dans la rétention des femmes.
    On sait que ces facteurs de satisfaction sont de plus en plus importants dans les jeunes générations. Donc c’est une nécessité de plus en plus urgente.

Pourtant quand on compare les chiffres des managers intéressés à la flexibilité et ceux qui utilisent les programmes mis à leur disposition, on constate que 46 % de femmes les utilisent contre 78% intéressées et 25% d’hommes contre 46% intéressés.

Plusieurs raisons expliquent cela … surtout la perception que demander de la flexibilité envoie un signal très négatif aux échelons supérieurs avec le risque de ne plus être considéré comme ambitieux et haut potentiel.
Les limites de disponibilité sont aussi plus difficiles à fixer quand dans un modèle de présence au bureau entre 9h et 17h.

Certaines entreprises ont développé d’autres types de modèles de carrière … Deloitte a lancé en France et aux Pays-Bas le « Mass Career Customization ». Le principe est que désormais toute carrière est changeante et non plus linéaire (« from corporate ladder to corporate lattice »). En accord avec sa direction, chaque employé de peut désormais intervenir chaque année sur sa vitesse de carrière dans 4 domaines : le rythme, la fonction, la charge de travail, et l’horaire/lieu de travail. Les expériences pilotes ont eu beaucoup de succès et rencontré la satisfaction des utilisateurs en leur redonnant le pouvoir sur un réaménagement constant de leur carrière, fonction et vie familiale. C’est d’autant plus important que le modèle de l’homme qui fait carrière quoi qu’il arrive et de son épouse qui le soutient en gérant toute la vie familiale tend à disparaître. Aujourd’hui aux Etats Unis par exemple, 87% des couples travaillent tous les deux !

La flexibilité est un atout essentiel pour garder les talents dans l’entreprise !

Quimporte l’échelle hiérarchique, apprenez à dire non à votre supérieur !

Pourquoi n’ose-t-on pas dire « non » ?
De quoi a-t-on peur ? Avons-nous besoin de nous valoriser en nous rendant indispensable ?
Notre entreprise a-t-elle vraiment besoin de tant d’abnégation ou pouvons-nous plutôt essayer de remplacer la disponibilité par de la fiabilité ?
Comment dire « non » sans blesser ?
Voici les conseils de Chantal Dewandre, coach chez Samskara

Vendredi 17h00, la fin de la journée approche et j’ai promis à mes enfants d’aller au cinéma ce soir. J’éteins mon PC et me réjouis du bon moment que je m’apprête à passer en leur compagnie. Soudain la voix de mon patron retentit dans mon dos sur un ton tendu :

– « J’ai encore besoin de vous. Pouvez-vous me rassembler les derniers chiffres du département et m’en faire une représentation graphique sur Powerpoint? Je voudrais les relire ce week-end pour les envoyer au siège de Londres ! Un grand merci d’avance. »

La plupart de mes responsables ont toujours été pressés par le temps, très exigeants, parfois trop, mais surtout focalisés par la rentabilité à tout prix, sans oublier leur stress à eux aussi. L’équilibre entre le travail et la vie privée est devenu un thème très en vogue ces dernières années mais demeure hélas une considération très éloignée de la réalité de notre société !

Je dépose ma veste, rallume mon PC et appelle mes enfants pour leur annoncer la mauvaise nouvelle qui les déçoit terriblement. Ma culpabilité de mère grandit en réalisant que je ne pose pas les priorités de ma vie au bon endroit. Du coup, c’est le dilemme car je me sens toujours coupable : soit envers ma famille ou envers mon patron. Je ne peux quand-même pas dire ‘non’  à mon patron et ne pas faire suite à sa demande. Je préfère encore reporter ma soirée avec mes enfants…

Depuis toute jeune, je suis dans l’incapacité de dire ‘non’ car je porte, ancrée au plus profond de moi, cette certitude qu’on ne pouvait jamais dire ‘non’ à son supérieur. Je n’ai d’ailleurs jamais imaginé qu’il pouvait en être autrement…

Lors de mon long et difficile apprentissage à dire ‘non’, j’ai dû commencer à me demander ce que je craignais à l’idée de manifester un refus. Dans cette situation bien précise du vendredi soir, je réalise que j’ai craint une situation – celle de fâcher mon supérieur, d’ailleurs il était souvent fâché. J’ai voulu éviter un conflit, une déception, une discussion houleuse. Demeurer ce petit soldat corvéable à merci, était pour moi le seul moyen d’éviter ce dont j’avais peur.

Ensuite, j’ai dû apprendre à me poser objectivement la question de savoir si dire ‘non’ me permettait d’éviter ce que je craignais? Et là, surprise ! Ce que je craignais, je l’avais déjà, tous les jours. “Il est souvent furieux, me regarde souvent de façon mécontente. D’ailleurs c’est une attitude qu’il adopte avec de nombreuses personnes. Et, somme toute, que je dise ‘oui’ ou que je dise ‘non’ ne m’épargnera pas sa mauvaise humeur ! Le fait de rester plus longtemps ce vendredi ne constituera pas quelque chose d’exceptionnel à ses yeux, mais bien un comportement “normal” et si ce que je lui donne n’est pas exactement ce qu’il a imaginé, il marquera son mécontentement, qu’il soit midi ou huit heures. Plus de raison donc d’avoir peur…

Étape suivante, appendre à dire ‘non’ avec diplomatie, douceur et fermeté.

J’ai donc tenté la compréhension, l’expression de mes besoins, le ‘non’ ferme et surtout pas de justification.

  • Monsieur, ne me dites pas que vous avez envie de passer tout le week-end sur ces chiffres?

(Mon patron souhaite-il que je sacrifie mon vendredi soir ou essaie-il de résoudre le problème qui le préoccupe en n’ayant aucune idée de mon programme du week-end ?)

  • Et bien non, mais c’est mon travail de vérifier ces chiffres et les anglais me les demandent ASAP.

(Ici, c’est sans doute son interprétation du ‘as soon as possible’ !)

Et d’un ton toujours très calme, avec un visage serein et ouvert, je poursuis

  • Ecoutez, je vais vous parler franchement: ce soir, mes enfants ont priorité sur mon travail car je leur ai promis un ciné Vous savez que je suis la première personne à faire des heures supplémentaires quand nécessaire, mais pour ce soir, c’est ‘non’. Par contre, lundi en matinée volontiers.

M’a-t-il regardée en fronçant les sourcils? C’est possible. Mais tant pis. J’y étais préparée.

  • Très bien Catherine, je vais donc devoir moi-même revoir ces chiffres ce week-end. Mais je compte sur vous pour m’en faire une belle présentation dès lundi matin. Profitez de vos enfants ce week-end! »

Cette conversation me semblait “habituelle” et pourtant le fait de ne pas avoir éprouvé de peur d’être mal jugée par mon supérieur était la preuve même du progrès que j’avais accompli. J’avais même contribué à l’amélioration de notre relation. Osera-t-il encore me demander de “sacrifier” ma vie privée? Bien sûre. Mais c’était devenu ma responsabilité de dire ‘non’ quand je le jugeais approprié, mais également de dire vraiment ‘oui’, lorsque je l’exprimais ! Le vrai bénéfice à tous les échelons, c’est qu’une attitude franche et positive, dépourvue de peur et/ou de culpabilité engendre souvent des dialogues constructifs débouchant la plupart du temps sur de la compréhension mutuelle, mais en tout cas sur plus de respect de soi-même.