Editorials

- Isabella Lenarduzzi

Ma déclaration de guerre au sexisme ordinaire

Ce qui s’est passé dans une chambre d’hôtel à NY il y a 4 ans an a permis enfin à la société européenne de prendre conscience des comportements inacceptables à l’encontre des femmes. Ces mots ou ces actes tentent de décrédibiliser ou de délégitimer les femmes en les ramenant à leur statut d’objet sexuel, à leur place « naturelle » et à leur incompétence.

Ces « petites phrases » sont le résultat d’une culture millénaire de domination et de catégorisation entre les « putes » et les saintes. Moi aussi j’ai été élevée dans cette culture et pour me faire accepter dans un monde d’hommes (entreprise, politique et université), j’ai tout naturellement repris ces clichés à mon compte en riant de leurs blagues, voir même en surenchérissant leurs insultes. Je n’avais pas conscience qu’en faisant de la sorte, je me faisais du mal toute seule. En participant à cette pratique on maltraite la féminité, on s’oblige à entrer dans les catégories « baisable » ou « mal baisée » au lieu de participer à un nouveau modèle de relations entre hommes et femmes et à déconstruire les stéréotypes pour être enfin plus libre de nos choix. Je revendique aussi que j’aime la séduction. J’aime être séduite et j’aime séduire.

Je refuse d’agir différemment pour éviter les quiproquos. Je refuse de faire l’impasse sur la légèreté et le plaisir que m’apportent les jeux de séduction. L’Europe doit trouver une troisième voie entre le puritanisme et peur du procès en harcèlement vécut aux Etats-Unis et les remarques sexistes d’un Berlusconi qui sont banalisées et reprises par une grande majorité. Cette voie du milieu doit pouvoir, en même temps, allier légèreté et respect. Il faut « simplement » que toutes nos relations humaines soient guidées par un sentiment profond d’égalité.

Je déclare donc qu’à partir de ce moment, je ne laisserai plus un des dirigeants d’une organisation patronale déclarer « elle a certainement ses règles » à chaque fois qu’une femme se permet de questionner ses décisions. Je n’accepterai plus d’entendre « c’est normal qu’elles ne sachent pas travailler ensemble, ce sont des femmes », « d’accord pour avoir des femmes dirigeantes mais il faut qu’elles soient compétentes », ou comme lors d’un dîner de gala auquel mon ex associé ma présenté à un ceo très réputé, celui-ci a dit 4 phrases en commençant à parler de mes seins, des relations sexuelles que nous avions certainement eues mon associé et moi, et deux autres aboiements de cet acabit. Sachez, que désormais il va vous falloir essuyer ma colère. Il m’aura fallu du temps mais j’ai enfin compris que le respect n’est pas sujet à humour.

Je participais à Francfort à un événement pour femmes leaders. Le sujet annoncé n’avait pourtant rien à voir avec l’égalité probablement pour attirer plus de monde, et même si plus de 75% des participants étaient des femmes, les complets tailleurs sombres étaient dominants. Lors d’un atelier où nous devions réfléchir en petits groupes aux recommandations à faire aux grandes entreprises pour qu’elles soient plus responsables face à la société, j’ai évidemment proposé de mentionner qu’avoir un équilibre entre femmes et hommes dans les postes de décision était non seulement important pour la performance de l’entreprise mais garantissait aussi une plus large palette de style de leadership qui permettrait à chacun d’exercer sa responsabilité citoyenne selon ses propres valeurs. Cette diversité d’approches et de visions empêche toute une série de dérives de gestion à son propre profit par un groupe dominant. Avec politesse, les femmes autour de la table (il n’y avait pas d’homme) ont évincé gentillement ma proposition pour finalement l’édulcorer en mettant en avant l’importance de la diversité en général. Seule une américaine de GE a relevé que c’était typique d’un groupe de femmes, de ne surtout pas se positionner comme tel et de ne rien revendiquer pour elles. Pour une fois, que cette grande banque donnait la parole aux femmes dans un événement qui leur est consacré, elles préfèrent passer sous silence que l’Allemagne est un des pays les plus mal placé dans les statistiques du nombre de femmes ayant un pouvoir économique ou corporate.

Quelques jours plus tard j’ai entendu d’une femme dont j’ai fait l’éloge auprès de plusieurs dirigeants de son entreprise, qu’elle décidait de ne plus soutenir le Forum JUMP car « il est féministe donc anti-homme » ! Pour rappel, voici la définition du féminisme : Doctrine favorable à l’égalité des sexes.
Etre féministe, ce n’est pas lutter contre les hommes mais avec eux, contre le sexisme et les stéréotypes qui nous conditionnent.
Etre féministe, ce n’est pas glorifier aveuglement les femmes mais les considérer comme des êtres humains à part entière… ni pires ni meilleures que les hommes.

J’ai aussi entendu qu’une femme invitée à participer au Forum JUMP par son entreprise, avait déclaré qu’elle était tellement honteuse de venir à un événement féminin, qu’elle avait regardé si personne ne la voyait rentrer au Forum annoncé par un lettrage JUMP en frigolyte rose !

La misogynie au féminin existe donc toujours. Je crois (j’espère) qu’elle se réduit mais elle est encore bien présente dans toutes les strates de la société. Pas besoin d’être femme dirigeante pour ne pas aimer les autres femmes. Ces femmes misogynes ont juste intégré ce que le patriarcat a inventé : diviser pour mieux régner. En étant méchantes et non solidaires avec les femmes qui travaillent pour faire avancer l’égalité, c’est contre elles-mêmes qu’elles œuvrent. Cette honte du féminin et du féminisme, cette détestation de soi, est terriblement destructeur pour elles mêmes et pour toutes les personnes qui construisent un monde égalitaire. Plus les femmes retrouveront l’estime d’elles-mêmes, valoriseront le féminin, sauront s’apprécier mutuellement et se feront confiance, plus elles développeront leur réseau social et deviendront de puissantes alliées dans leur chemin vers des postes de décision qu’elles utiliseront pour le meilleur de notre monde !

De la nécessaire solidarité entre femmes …

Cet été j’ai lu un livre qui m’a beaucoup fait réfléchir sur mes choix de vie et qui m’a donné un éclairage nouveau pour comprendre les 1001 difficultés que nous rencontrons pour mener à bien les activités de JUMP* … la peur de certains hommes face à la montée en puissance des femmes et la difficulté des femmes à assumer ce changement. Et pourtant l’objectif de JUMP n’est pas de faire prendre le pouvoir aux femmes contre les hommes mais d’aider les femmes et les hommes à faire les choix de vie qui leur conviennent réellement sans être limité par leur condition de genre et en exprimant leur plein potentiel.

Voici ce que j’ai lu dans le livre de Sophie Cadalen « Les femmes de pouvoir – Des hommes comme les autres ? » : « Les femmes réclament consciemment et symboliquement des pouvoirs auxquels elles ont droit, tout en se sentant illégitimes malgré elles pour les assumer, conditionnées par une nature – imaginaire- qui les détourne de ces ambitions. Nombre de femmes vivent au quotidien cette dualité, coupables quoi qu’elles fassent. Elles s’élèvent contre les discriminations dont elles sont victimes dans le monde du travail, mais elles ne sont pas sûres d’être à la hauteur d’un poste de pouvoir qui empièterait sur leur rôle de mère. Ce conflit est insoluble. Il est l’affrontement incessant entre la raison et la sensation, entre le rationnel et un émotionnel qui terrassent nos consciences les plus vigilantes. » Pour être vraiment libre d’être pleinement qui nous sommes et pour jouir de ce nouveau statut, Sophie Cadalen nous invite à quitter tout sentiment de culpabilité par rapport à nos rôles de mère, d’épouse, de fille, de copine, … et d’assumer pleinement notre désir de nous épanouir selon nos propres règles et nos propres talents. L’excitation des défis, le plaisir de gagner, … ce plaisir devrait pouvoir éliminer notre besoin de reconnaissance et être le seul moteur de notre réussite. Pour cela nous devons absolument être plus douce avec nous-mêmes mais aussi être plus tolérante et bienveillante avec les autres femmes. Nous serons plus libres d’être pleinement nous-mêmes quand nous arrêterons de nous juger les unes et les autres !

Isabella Lenarduzzi, Directrice de JUMP « Empowering Women, Advancing the Economy »