Editorials

- Annick de Vanssay

L’égalité professionnelle : un monde à 50/50

L’égalité professionnelle n’est pas une histoire de femmes ni de process. C’est une question de culture inclusive et respectueuse de tous les talents où femmes et hommes ont leur rôle à jouer.

Malgré les nombreux efforts réalisés en matière d’égalité professionnelle, les résultats sont encore très décevants. Depuis le 1er janvier 2017, la loi Copé-Zimmerman impose des quotas dans les conseils d’administration et de surveillance. Grâce à cette loi, plus de 10 000 entreprises françaises doivent désormais inclure au moins 40% de femmes au sein de ces deux instances dirigeantes.

Dépasser les bonnes intentions !

Que ce soit dans la sphère économique ou politique, les femmes peinent encore à arriver au sommet et à prendre part aux processus décisionnels. Dans les 62 plus grandes entreprises françaises cotées en bourse, les hommes sont très largement surreprésentés avec environ 70% d’hommes parmi les cadres et plus de 88% parmi les membres des comités exécutifs. A l’échelle mondiale, sur 193 chefs d’état, 177 sont des hommes et ils représentent également 83% des députés. Le chemin des femmes vers l’accès aux postes à responsabilités reste criblé d’obstacles qui ne pourront être dépassés que par une prise de conscience générale de la nécessité de transformer en profondeur la culture des entreprises et des organisations.

Nous sommes convaincues que pour dépasser les bonnes intentions, il est nécessaire de développer une approche globale de l’égalité : les entreprises ont la capacité de faire émerger des écosystèmes et des modèles plus inclusifs qui permettent à toutes les diversités de s’intégrer, les dirigeants doivent être porteurs du changement et engager leurs managers dans cette transition vers plus d’inclusion. Quant aux femmes, elles doivent se positionner activement pour revendiquer et assumer le pouvoir. La transition organisationnelle dépend de tous les agents du changement et cela implique que femmes et hommes, à toutes les échelles de la hiérarchie, s’engagent pour plus d’inclusion.

Déconstruire les mythes autour de la carrière des femmes !

« Cessons de dire que les femmes manquent de confiance en elles, qu’elles doivent aller de l’avant et qu’elles ne sont pas aussi ambitieuses que les hommes. Même si cela peut être vrai parfois, ce n’est pas le problème : c’est le symptôme ! » explique Avivah Wittenberg-Cox[1].

Le monde de l’entreprise a été bâti par des hommes et pour des hommes. Depuis quarante ans, les femmes ont investi massivement le marché du travail rendant le système existant inadapté et obsolète. L’augmentation du taux de participation des femmes au marché du travail, les nouvelles aspirations générationnelles ainsi que la transition numérique poussent nos sociétés à évoluer et les modèles organisationnels et de leadership doivent suivre ces évolutions !

Derek Lusk et Jackie Van Broehoven[2] ont repéré 4 mythes, en contradiction avec les évolutions sociétales, qui entravent la carrière des femmes et leur épanouissement professionnel :

  • Les femmes et les hommes sont différents : les différences établies entre les femmes et les hommes sont des créations sociales et non pas une vérité biologique. Elles sont le fruit des stéréotypes émanant de notre héritage culturel.
  • Les femmes sont de moins bons leaders que les hommes : dans nos sociétés modernes, un bon leader doit savoir construire du relationnel, considérer les employés en tant qu’individu, motiver ses équipes grâce au partage de la vision et des objectifs de l’entreprise. Ce modèle de leadership n’est pas genré et n’est plus affilié à des caractéristiques dites masculines comme le modèle de leadership passé.
  • Les femmes ne sont pas ambitieuses (ou moins que les hommes) : d’après une étude réalisée par PwC[3] les jeunes générations de femmes sont d’autant plus ambitieuses qu’elles sont convaincues d’avoir les capacités requises pour accéder à des postes à responsabilités. Elles considèrent que les entraves à cette accession émanent de la culture d’entreprise. C’est la culture d’entreprise qui doit s’adapter et non pas les femmes.
  • Les femmes sont bloquées par un plafond de verre invisible : le phénomène de plafond de verre est le résultat de stéréotypes et de biais inconscients. C’est en agissant sur nos propres biais que nous pourrons mettre fin à ce phénomène. Par exemple, des chercheurs[4] ont montré que les femmes reçoivent systématiquement des feedbacks vagues alors que les hommes reçoivent une vision claire des objectifs à venir. Cette différence de traitement affecte la manière de travailler des femmes et les bloque dans leur avancement professionnel.

Face aux évolutions sociétales constantes, ce sont les entreprises qui ont besoin d’être accompagnées vers le changement car elles ont la capacité de se transformer plus vite pour anticiper les transformations de la société et de leur marché. L’égalité professionnelle est une condition indispensable à l’attraction de tous les talents et est créatrice d’innovation avec des équipes plurielles, représentatives de la société. Les entreprises doivent être en mesure d’adapter leur modèle de management ainsi que de mettre en place des actions de sensibilisation mais également de conscientisation des biais, de mise en visibilité des rôles modèles alternatifs à la norme dominante et d’appliquer une tolérance zéro à l’égard des paroles et des actes sexistes.

Comment les femmes peuvent-elles prendre leur part du pouvoir ?

Les femmes ne peuvent plus attendre les effets bénéfiques des régulations, des lois ou des politiques de mixité en entreprise : les femmes peuvent prendre le pouvoir et revendiquer leur place en persistant. Sheryl Sandberg, COO de Facebook et autrice et fondatrice de « En avant toutes » explique que les femmes doivent adopter trois comportements pour acquérir la place qui leur revient :

  • Prendre place à table aux côtés des hommes. En entreprise, les femmes sont « conditionnées » dans une posture de relatif retrait. Alors que les hommes attribuent leurs succès professionnels à leur propre mérite, les femmes ont tendance à les attribuer aux autres, à leur environnement ou même à la chance. Les femmes sous estiment leurs capacités et leur propre valeur : 57% des hommes négocient leur salaire dès leur premier emploi contre seulement 7% des femmes. Les femmes, contrairement aux hommes, sont touchées par le syndrome de « la bonne élève », elles ne se battent pas pour leur reconnaissance car elles considèrent que la reconnaissance vient naturellement à force d’efforts.
  • Ne pas abandonner avant d’avoir commencé. Les femmes, dès leur adolescence, dans le choix de leurs études mais également tout au long de leur carrière professionnelle, font des choix déterminants en se basant sur une projection de leur vie future. Leur premier réflexe est souvent de refuser un poste qu’elles vont considérer en concurrence avec le temps qu’elles croient devoir allouer à leurs enfants. Cette croyance stéréotypée doit être déconstruite ! Sheryl Sandberg insiste notamment sur le fait qu’il est important de ne pas renoncer à l’ambition professionnelle, en particulier au moment de la maternité où se crée le décrochage qui conduit bien trop souvent à un renoncement.
  • Renvoyer l’ascenseur : Les femmes au sommet de la hiérarchie ont la responsabilité d’aider les autres jeunes femmes à progresser malgré les obstacles. Elle met l’accent sur l’importance de la solidarité féminine comme vecteur de la promotion de la carrière des femmes. Les femmes ayant réussi doivent devenir des sponsores actives pour aider les autres femmes à progresser.

Le dialogue des genres au service de l’égalité professionnelle

Il est évident que l’engagement des hommes dans cette transformation est incontournable, non seulement parce que les hommes détiennent actuellement 90% des postes décisionnels mais également parce qu’ils ont tout à gagner à plus d’égalité.

Dans une étude intitulée « Les hommes veulent-ils l’égalité au travail? » JUMP a interrogé des hommes sur leur perception et leur engagement envers l’égalité professionnelle. 78% des hommes interrogés estiment que plus d’égalité professionnelle peut leur être bénéfique. Pourtant, seul 1 sur 5 déclare être activement engagé pour faire progresser l’égalité. La jeune génération est celle qui croit le plus fortement que plus d’égalité professionnelle peut lui apporter des bénéfices personnels (88%) et le principal bénéfice évoqué par les hommes interrogés est une meilleure répartition des temps de vie professionnelle et personnelle.

Ces résultats démontrent que les normes patriarcales du passé ne sont plus adaptées et même les hommes de la nouvelle génération y sont de plus en plus réfractaires. Les hommes attendent de leurs partenaires qu’elles travaillent et qu’elles soient toutes aussi engagées dans leurs carrières qu’ils le sont eux-mêmes : ils veulent des couples à double carrière Les hommes de la nouvelle génération s’attendent à pouvoir concilier travail et famille afin de s’impliquer dans l’éducation de leurs enfants. En 2015, 78% des actifs de la génération Y étaient en couple à double carrière. Aujourd’hui, les couples à double carrière sont de ce fait devenus la norme. Néanmoins, 50% des hommes dans cette situation considèrent que leur propre carrière reste celle à privilégier dans le couple.

Depuis 10 ans, nos études ont démontré que l’égalité professionnelle n’est pas un jeu avec des perdants mais au contraire un jeu à somme positive, un système gagnant-gagnant. L’égalité réelle ne se construit par pour les femmes au détriment des hommes et elle ne peut prendre forme que grâce à un véritable dialogue des genres.

L’association JUMP pour l’Égalité travaille avec les organisations et les personnes pour éliminer les inégalités entre les femmes et les hommes au travail, créer une économie durable et une société plus égalitaire.

Retrouvez l’ensemble des études réalisées par JUMP en ligne: https://jump.eu.com/studies/ et sur notre site internet: www.jump.eu.com. Rejoignez nous le 1er juin prochain au Forum JUMP de Paris pour découvrir ces thématiques en nous envoyant un mail à : paris@jump.eu.com.

L’Association JUMP pour l’Égalité

[1] Avivah Wittenberg-Cox, « Fix the leaders », dans The Female Talent Issue, Are We Getting any closer ? Why we need more female leaders and How we’ll get them, 2016.

[2] Derek Lusk et Jackie Van Broehoven, « The four biggest Myths about Female leaders », dans The Female Talent Issue, Are We Getting any closer ? Why we need more female leaders and How we’ll get them, 2016.

[3] Étude Pwc, The female millennial, a new area of talent, 2015.

[4] Correl & Simard, Research : Vague feedback is holding women back, Harvard Business Review, April 2016