Editorials

- Isabella Lenarduzzi

Les femmes sont-elles solidaires avec les autres femmes?

Voilà bien un lieu commun que de dire que les femmes se jalousent, sont incapables de travailler ensemble et ne s’aident pas mutuellement. Chacune d’entre nous a certainement souffert à un moment de sa carrière de ce syndrome de “Queen Bee” (la reine des abeilles mange ses rivales potentielles) qui illustre parfaitement la propension de certaines à vouloir être la seule au top ou la seule proche d’un homme de pouvoir. Je continue d’en souffrir moi-même car ce sont souvent des femmes qui obstruent le développement de JUMP (voir ici un article que j’y ai consacré). Mais ce phénomène est-il si répandu que cela ou est-ce un comportement du passé qui nous fait tellement de mal qu’il nous aveugle sur sa réelle importance? Catalyst y a consacré une de ses dernières recherches.

Les conclusions tordent le cou à nos préjugés et relativisent nos blessures… il semble que les femmes soient plus nombreuses à aider la carrière de leurs collègues que les hommes et en particulier quand il s’agit de soutenir une autre femme !

Quelles sont les formes de cet accompagnement ?
– conseils de carrière : Comment s’orienter dans cette entreprise ? Quelles sont ses règles « non écrites » ? Qui a de l’influence ? Comment négocier ?
– sponsoring : parler de l’autre en bons termes auprès de collègues influents ; œuvrer pour qu’elle obtienne une fonction visible ; l’introduire auprès de personnes clés …
– soutien : écoute active ; amitié partagée ;
– rôle-modèle : jouer activement ce rôle auprès des juniors pour créer un exemple inspirant

Catalyst a vérifié que les personnes qui ont bénéficié elles-mêmes de ce soutien seront plus nombreuses à l’offrir en retour à d’autres. Ce sont surtout les femmes qui rendent l’attention qu’on leur a donné :  65% contre 56% chez les hommes ! Les femmes sont plus susceptibles d’aider d’autres femmes de leur organisation. Elles sont 73% à accompagner d’autres femmes contre 30% des hommes ! Et ça paie ! Les femmes et les hommes qui soutiennent leurs collègues gagnent en visibilité, promotion mais aussi financièrement ! Cultiver le talent des autres profite à sa propre carrière.

En résumé, les femmes aident davantage leurs collègues à faire carrière et en particulier auprès des autres femmes. Les hommes préfèrent soutenir le développement d’autres hommes. Ce préjugé énonçant que les femmes obstruent les autres femmes de leur entreprise ne repose donc pas sur la réalité mais sur sa perception. Catalyst explique qu’un comportement malveillant d’un homme passe davantage inaperçu car il est considéré comme faisant partie de sa personnalité. Quand il s’agit d’une femme, elle est prise comme exemple pour le comportement de toutes les femmes alors même qu’elle fait partie d’une minorité à se comporter de la sorte.

Si vous observez ce manque de soutien des unes envers les autres au sein de votre organisation, il faut se demander comment votre entreprise considère cette attitude. Est-ce porté ou rejeté par le top management ? Est-ce reconnu ? Est-ce que le développement des talents des autres est considéré comme une qualité essentielle d’un bon leader ? Il est aussi essentiel que dans le cadre de la politique d’égalité professionnelle de votre entreprise, les hommes soient encouragés à accompagner la carrière des femmes.

Dans un monde de plus en plus dur et frénétique, l’empathie est nécessaire à la santé mentale ! JUMP s’inscrit dans cette dynamique dans les valeurs qui nous portent et dans les actions que nous menons. Est-ce la façon d’intégrer les valeurs féminines dans la conduite d’une entreprise? Nous l’espérons.

Mobilisez votre féminin intérieur pour sauver le monde

Pour réussir notre vie professionnelle, des coaches bien intentionnés nous donnent des conseils et écrivent des livres qui nous disent tous d’arrêter d’être cette « fille sympa » pour enfin devenir une femme qui maîtrise sa vie et arrête de toujours vouloir plaire aux autres (Lois Frankel « Nice girls don ’t get the corner office », « Nice girls just don’t get it »).

Dès leur plus jeune âge, on élève les filles dans l’idée que leur bonheur et leur réussite dépendent du respect des stéréotypes : il faut être poli, douce, docile, attentive aux autres. Nos tentatives pour se libérer de cette pression sociale sont tournées en ridicule voire suscitent la désapprobation et le mépris (« Tu as tes règles ? », « Tu es plus belle quand tu souris », « Si tu es agressive comme ça aucun homme ne voudra de toi » …). Résultats : beaucoup de femmes vivent leur vie par procuration car la plupart de leurs choix ont été faits pour plaire à leurs parents, à leur mari ou à leurs enfants. Elles se plaignent d’être transparentes et constamment dévalorisées.

Passer du statut de « fille sympa » à celui d’une femme qui gagne ne signifie pas qu’on obtient forcément ce que l’on veut mais bien qu’on poursuit nos propres objectifs de manière authentique, ciblée, avec intelligence et maturité. En réalité, il s’agit de pouvoir. Ce pouvoir de l’individu sur lui-même qu’on acquiert en exerçant son autonomie. Et c’est bien ici que toute la difficulté réside … pour arriver à un système de domination des hommes sur les femmes (le patriarcat), il a fallu  soumettre les femmes en éliminant leur estime d’elles-mêmes.  Eve Ensler (auteure des « Monologues du vagin ») déclare que la puissance des femmes devait être si terrifiante que tout a été fait pour la tourner en  dérision : instabilité, fragilité, passivité, inconsistance, … En faisant cela, on a déraciné les femmes de leur force intérieure et on a amputé les hommes de leur part féminine, créant des guerriers, des hommes arrogants, violents, avides de pouvoir. Quelle torture et quel massacre pour les femmes, mais pour les hommes aussi!

  1. Après le succès des « Monologues du vagin », Eve Ensler a parcouru le monde et, en particulier, la République Démocratique du Congo. Ce qu’elle a vu là-bas l’a transformée à jamais. C’est un des endroits du monde où les effets désastreux du patriarcat sont encore bien vivants. Ce qui s’y passe est l’enfer sur terre. Avez-vous, par exemple, déjà entendu parler de fistule ? Une fistule obstétricale est une brèche de la filière pelvi-génitale due à une absence de soins à l’accouchement ou à des viols. C’est-à-dire qu’il n’y a plus qu’un trou béant entre la vulve et l’anus. Ces femmes souffrent d’une incontinence permanente (urines et selles), en ressentent de la honte et font l’objet d’une discrimination sociale. On estime qu’en Asie et en Afrique subsaharienne, plus de 2 millions de femmes vivent avec des fistules obstétricales non traitées. Dans le monde, une femme sur trois soit un milliard de femmes seront violées au cours de leur vie ou agressées physiquement. Eve Ensler en tire le constat que c’est la féminité qu’on veut tuer ou soumettre. Son dernier livre « Emotional creature » et sa performance aux conférences TED défend la cause du retour de la puissance féminine en chacun de nous (hommes et femmes). Les émotions, l’empathie, la vulnérabilité, l’intuition nous permettent d’entrer véritablement en relation avec les autres et de trouver des solutions pour mieux vivre ensemble et davantage respecter la terre. C’est ce que les livres de management appellent « l’intelligence émotionnelle », la seule capable de nous emmener vers des modèles de gestion innovants, inclusifs et solidaires. Il ne s’agit donc plus d’être une « fille sympa » coupée de ses propres envies et talents mais d’être une vraie fille puissante, courageuse et volontaire, profondément ouverte aux autres dans l’empathie et la compassion. C’est cette énergie là qu’Eve Ensler appelle de tous ses vœux pour sauver le monde.
  2. En Europe, une femme est violée toutes les 8 minutes. 80% des agresseurs sont des hommes qu’elle aime, qu’elle a aimés ou qu’elle connaît. Une femme meurt sous les coups tous les deux ou trois jours. La violence est la première cause de mortalité pour les femmes entre 15 et 45 ans. Plus que la maladie ou les accidents !
    Sur 1 an, une femme sur 7 aura subi au moins un acte de violence de son partenaire. Ce chiffre est de 1 femme sur 3 quand on prend la moyenne mondiale.
  3. Moins de 50% des plaintes pour viol font l’objet de poursuite à cause de l’absence de preuve. Et moins de 10% des auteurs seront condamnés. La violence contre les femmes est le seul crime dans lequel la victime se sent coupable et honteuse.
  4. Ce féminicide est destructeur pour les femmes qui en sont victimes mais aussi pour toutes les autres. Chacune d’entre nous intègre qu’il y a une certaine façon de s’habiller et de se comporter pour ne pas prendre trop de risque. Nos choix de sortie dépendent de cette violence, les gens que l’on décide de fréquenter et les quartiers dans lesquels on se promène. La violence des hommes sur les femmes limite la liberté des femmes et leur estime d’elles-mêmes. Cette vulnérabilité nous rend souvent fragile et dépendante sans vraiment nous en rendre compte.
  5. Et pourtant …
    Pourtant, il y a de plus en plus d’hommes qui refusent la violence et sortent de l’indifférence.
    Pourtant nous sommes plus de la moitié de l’humanité, et si aucune femme ne supportait la violence faite aux autres femmes, plus personne n’oserait nous faire de mal.

Alors répondons présentes à One Billion Rising pour célébrer notre force quand on est ensemble, pour célébrer notre sororité. La sororité c’est la fraternité au féminin, c’est la solidarité entre nous toutes. Il n’y a pas de meilleur moyen de célébrer que de danser. Quel merveilleux message d’être des millions de femmes à se soulever pour refuser la violence mais dans la légèreté, la joie et la puissance exprimée par la danse et la musique. Il n’y avait qu’une femme pour inventer ça ! Merci Eve Ensler.