Editorials

- Isabella Lenarduzzi

Demande d’une approche équilibrée de la pénibilité au travail pour les métiers exercés massivement par les femmes

Monsieur le Ministre des Pensions, Comme vous le savez, les syndicats et les patrons ont repris les discussions au sein de la Commission « Pénibilité ».

Dans le cadre du report de l’âge de la pension à 67 ans, le Gouvernement fédéral a en effet chargé les partenaires sociaux de définir des critères objectifs pour une liste révisable de métiers lourds.

A l’initiative des femmes cdH et avec le soutien du Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB), des organisations rassemblées au sein de Synergie Wallonie pour l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que JUMP, nous vous demandons de veiller à une approche équilibrée de la pénibilité du travail, qui intègre la dimension du sexe : selon le Conseil de l’Egalité des chances entre hommes et femmes, la reconnaissance actuelle des métiers lourds et des maladies professionnelles est effectivement discriminatoire envers les femmes. Nous vous demandons dès lors de tenir compte de l’avis n°149 du 13 novembre 2015 du bureau de ce Conseil.

En effet, la définition des « métiers lourds » s’applique essentiellement aux métiers physiques et masculins. Les exemples retenus, dans un rapport de la Confédération européenne des syndicats, sont les chauffeurs de bus, les travailleurs des centres de distribution, des fonderies, de la transformation de la viande… Bref, la pénibilité ne correspond pas aux secteurs avec surreprésentation de femmes : les employé-e-s du nettoyage, les caissières, les métiers des soins aux personnes, etc. Dans le secteur privé, la notion de « métier lourd » est définie en fonction de critères liés à la répartition du temps de travail (travail en équipes successives, en services interrompus ou avec des prestations de nuit).

Contrairement à d’autres réglementations (Finlande, Pologne), notre législation ne fait pas référence à des critères de charge psychique. À côté de la charge psychosociale, les femmes cdH, Synergie Wallonie et JUMP, avec le soutien du CFFB, demandent que l’accumulation de conditions inadaptées au bien-être entre en ligne de compte : le cas typique pourrait être celui de la travailleuse dans un grand magasin qui éprouve des difficultés physiques liées au soulèvement régulier de petites charges (en cas de tendinite, par exemple), la précarité de la situation de travail (contrats courts, intérim…), des difficultés psychosociales dues au type de travail, etc. Selon une étude de la KULeuven, le critère de « qualité » a permis de regrouper le travail en 7 niveaux, de « travail de qualité » à « travail indécent ».

Il apparaît que les femmes sont surreprésentées dans 3 catégories de travail mal cotées : le travail à perspectives de carrière limitées (60% de femmes), le travail exigeant émotionnellement (60%) et le travail indécent (55%). L’analyse des maladies professionnelles se révèle aussi déséquilibrée. Selon le site du Fonds des maladies professionnelles, il y a 6 groupes dans la liste définie: maladies causées par des agents chimiques, de la peau, pulmonaires, infectieuses, causées par des agents physiques, autres. En outre, d’autres maladies peuvent être reconnues sous certaines conditions. C’est le système dit de la « liste ouverte » : la victime doit prouver que la cause directe et déterminante de sa maladie est liée à son travail. Or, que constate-t-on ? Selon les rapports du Conseil de l’égalité des chances entre hommes et femmes et du chercheur Laurent Vogel (2011), l’importante sous-représentation des femmes « ne semble pas être justifiée par des circonstances objectives concernant leurs conditions de travail ». La liste des maladies reconnues correspond à nouveau davantage à des emplois masculins dans des industries traditionnelles qu’à la réalité du travail contemporain.

Quelques chiffres (2012): 8,5% des travailleurs indemnisés dans le secteur privé pour incapacité permanente sont des femmes; pour le système « ouvert », le taux monte à 32% de femmes indemnisées. Bref, les systèmes de protection sociale ont été créés à une époque où le modèle était celui de l’homme qui travaille et de la femme qui vient en appoint. Les femmes ont depuis investi massivement le marché du travail. Les femmes cdH, Synergie Wallonie et JUMP demandent une nouvelle objectivation des critères de reconnaissance. Même si toutes les fonctions ne peuvent entrer dans une liste de métiers lourds, la future classification doit tenir compte des réalités spécifiques vécues en fonction du sexe.

On ne peut laisser accréditer l’idée que les hommes exercent des « métiers lourds » et les femmes, des métiers… légers. Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que l’espérance de vie en bonne santé des femmes à 65 ans est plus faible que celle des hommes, même si elles vivent plus longtemps. Les femmes cdH, Synergie Wallonie et JUMP, nous sommes toutes disposées à être entendues et à prêter main forte aux partenaires sociaux et au Gouvernement dans ce débat.

En vous remerciant pour votre attention et dans l’attente d’une réponse de votre part, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Ministre, nos salutations les plus respectueuses

Pour les femmes cdH Catherine Fonck, cheffe de groupe à la Chambre Dorothée Klein, présidente Donatienne Portugaels, vice-présidente

Pour Synergie Wallonie Reine Marcelis, présidente

Pour JUMP Isabella Lenarduzzi, directrice Avec le soutien de Viviane Teitelbaum, présidente du CFFB