Il y a déjà 4 ans, Elisabeth Kelan publiait une recherche sur la difficulté de maintenir l’attention sur les politiques d’égalité professionnelle en l’appelant « Gender Fatique ». Elle constatait que la plupart des entreprises pensaient qu’elles avaient fait ce qui était nécessaire pour obtenir plus de mixité dans le management et que désormais il fallait que les femmes décident si oui ou non elles veulent vraiment des postes à responsabilité. Ces hommes et ces femmes managers estiment que s’il y avait peut-être un souci de discrimination auparavant, ils ont beaucoup œuvrés pour les résoudre et transformer leur lieu de travail en un endroit neutre où la méritocratie est réelle. Pourtant, si le débat de l’égalité professionnelle était bien vivant en 2009 dans les pays nordiques et anglo-saxons, il n’existait presque pas dans le reste de l’Europe. C’était avant les lois nationales de quotas de genre dans les Conseils d’Administration et avant la bataille féroce de la Commissaire Viviane Reding pour en faire une directive européenne. Où en est-on 4 ans après ?
Tous les consultants vous diront que la plupart des sociétés sont déçues des résultats de leur politique de mixité. Les femmes connaissent désormais leur importance pour la performance de leur entreprise (90% des 40 femmes sondées par JUMP en 2012) mais moins de la moitié de ces femmes managers pensent que cette valeur ajoutée est effectivement reconnue par leur hiérarchie et 71% pensent ne pas être valorisées autant que les hommes dans leur entreprise. Ce manque de reconnaissance est d’ailleurs la première cause de départ des femmes des entreprises. C’est une raison beaucoup plus souvent avancée que celle de vouloir mieux concilier leur vie professionnelle avec leur vie familiale ! Seulement 35% des femmes croient qu’elles ont les mêmes opportunités de promotion que les hommes alors que les hommes sont beaucoup plus nombreux à le penser.
Faut-il encore prouver et convaincre que l’équilibre entre le nombre de femmes et d’hommes est un facteur de performance de l’entreprise et de croissance économique ? Il semblerait que oui …
Au niveau mondial, Sheryl Sandberg, COO de Facebook, rappelle que “ sur 190 chefs d’Etat, 9 sont des femmes. 13% des sièges dans les parlements nationaux sont occupés par les femmes. Aux Etats-Unis, seuls 15% des « top jobs » dans les entreprises sont aux mains des femmes et cela n’a pas bougé ces 10 dernières années malgré le fait que quasiment 60% des diplômés universitaires sont des femmes. Le nombre de PDG femmes au sein des 500 plus grandes sociétés varie depuis 10 ans de 2 à 3% ». Sous l’impulsion de la loi sur les quotas (ou sa menace), certains pays comme la France obtiennent des résultats remarquables avec près de 60% de femmes parmi les nouvelles nominations d’administrateurs ce qui fait passer la moyenne de la présence féminine dans les CA du CAC 40 à 24%. Mais ce résultat ne présume pas de l’évolution du nombre de femmes dans les autres sphères de pouvoir comme les Comex ou bien d’autres.
Cette semaine, l’Institut belge pour l’égalité entre les femmes et les hommes a publié l’évolution de la présence des femmes au sommet entre 2008 et 2012. Je n’ai pas d’autre mot que celui de CATASTROPHE pour les commenter. Cette étude est très parlante car elle analyse de nombreux environnements de pouvoir comme le politique, les médias, les ONG, les universités, l’armée, la fonction publique, les ordres professionnels, les partenaires sociaux, … et sans prendre beaucoup de risque je crois pouvoir affirmer que les résultats reflètent la réalité dans toute l’Europe.
En 2008, les femmes semblaient être relativement bien représentées dans les médias. Toutefois, 6 ans plus tard, la proportion d’éditrices responsables est restée à 30 %, tandis que celle de femmes responsables de contenu a régressé, pour retomber à 22 %.
Au sein des autorités académiques, la présence des femmes dans les conseils d’administration des universités n’est passée que de 21 à 26 %. Augmentation due, en outre, à une diminution du nombre de postes d’administrateurs, et non à une augmentation du nombre d’administratrices. En 2014, également, il n’y a qu’une seule rectrice (bravo à la nouvelle nomination de la rectrice de l’Université de Gand !).
La féminisation si forte de métiers telle que la médecine ou le droit n’a aucun impact sur les postes de pouvoir de ces secteurs. Il n’y a par exemple toujours aucune femme dans l’ordre des médecins !
Et dans les entreprises, il y a-t-il eu un effet « quota » comme en France ?
En 2014 la proportion de femmes au sein des conseils d’administration des entreprises belges cotées en Bourse et des 100 principales entreprises non cotées en Bourse s’élevait à 18% contre 6% en 2008 ! 1/3% des entreprises en bourse n’ont aucune femme dans leur CA ! Il y a même eu régression du nombre de femmes PDG alors que leur nombre est déjà tellement insignifiant. L’excuse la plus souvent avancée est qu’il n’y a pas assez de femme disponibles (voir « compétentes » diront les plus téméraires) mais la fondatrice de « Women on Board » qui a constitué un « pool » de près de 200 femmes qualifiées et prêtes pour ces postes, déclare qu’en 2013 seule 10 entreprises ont consulté leur base de données ! Où est l’erreur ?
Les seules avancées ont lieu dans les secteurs où des mesures coercitives sont prises. C’est le cas pour une partie de la fonction publique fédérale avec un quota minimum d’un sixième (sic) de femmes au sommet de l’administration publique ou au sein des parlements, ou du gouvernement flamand (44% de femmes ministres).
Comment expliquer cette stagnation, voire ce recul ?
Même si la plupart des hommes pensent que leur environnement n’est pas masculin mais humain, les entreprises ne seraient-elles pas, à leur insu, un clan d’un certain type d’hommes avec des codes archaïques ?
Comme le décrit, Christophe Falcoz au Forum JUMP de Paris « l’entreprise est une institution qui non seulement a hérité et a imité les valeurs viriles en provenance d’autres institutions, mais qui constitue, elle aussi, une autre de ces maisons des hommes, en prolongement de celle qui a permis aux jeunes garçons de devenir des hommes. Le contrôle de la production des futurs pairs assure la reproduction entre soi (entre managers, entre hommes) du système, par la nomination de successeurs (des managers, des fils, des hommes). Les blagues sexistes et homophobes, les dîners d’affaires, l’appartenance à un club privé, les discussions informelles “entre hommes” sur le sport permettent de réaffirmer les hiérarchies de genre et de sélectionner les candidats les plus conformes au style de leadership dominant. Les logiques de soumission, de conformisme et d’allégeance peuvent ainsi conduire à du mimétisme vestimentaire, à partager des vestiaires après une rencontre sportive amicale, à accepter de favoriser “un des siens” plutôt qu’une autre personne performante … afin de plaire et de rentrer dans le cercle de subjectivité du groupe des managers (mâles) dominants ».
Comme l’exprimait Roselyne Bachelot (ex ministre en France) lors d’un colloque organisé par l’ORSE « la légitimité du pouvoir masculin, c’est Bonaparte au pont d’Arcole. Je prends le drapeau, je suis votre chef, je dis le droit, le bon, l’utile, et vous me suivez. J’ai pu observer dans la politique que les femmes ne peuvent pas procéder de cette légitimité du pouvoir. Elles ne procèdent que d’une légitimité du consensus, et le mandat qui leur est confié doit être constamment re-légitimé auprès des personnes qui leur ont confié ce pouvoir. Je pense que cette façon féminine – si l’on peut dire – d’exercer le pouvoir est extrêmement moderne. Pour être efficaces, les sociétés humaines ont besoin de ce type de fonctionnement ».
L’enjeu est donc bien de diversifier ce modèle de leardership archaïque grâce à des mesures fortes obligatoires ou volontaires pour que tous les humains puissent s’y reconnaître et être valorisés. C’est uniquement de cette façon que nous construirons des entreprises et une société réellement MERITOCRATIQUE.