Il a fallu 15 ans de débat et un rappel à l’ordre de l’Europe pour enfin arriver à un projet de loi qui mette fin à l’obligation de ne donner que le nom de famille du père à l’enfant. En Europe, seuls la Suisse, l’Italie et la Belgique ont encore cette obligation archaïque symbole fort du patriarcat. Il est utile de rappeler que pendant des millénaires et jusque très récemment, les mères ne pouvaient exercer aucune autorité sur leurs enfants et en cas de séparation, ceux-ci devaient rester avec leur famille paternelle. C’est encore comme cela dans de nombreux pays où l’homme est considéré comme supérieur à la femme et ayant un véritable droit de propriété sur ses enfants. Combien de femmes n’ont pas dû épouser un homme non désiré juste pour pouvoir « donner un nom » à leur enfant né hors mariage et ainsi leur garantir une place dans la société et un semblant de réparation de leur propre honneur ? Pour illustrer combien ce patriarcat est encore d’actualité, j’ai dû moi-même accepter que mon fils porte non seulement le nom de famille de son père mais aussi le prénom de son grand-père paternel. J’ai tenté de résister mais n’y suis pas arrivée (et oui, même moi !).
La possibilité de choisir le nom de famille de l’enfant au sein d’un couple ou la possibilité d’adosser les deux noms, reflètent l’évolution de notre société. Nous vivons enfin dans un monde où ni la mère ni le père ne prédomine d’office par la loi. Nous vivons enfin la coresponsabilité entre deux êtres autonomes qui peuvent décider ensemble de façon « égalitaire ».
Ce qui me frappe est la réaction outragée de beaucoup d’hommes et de quelques femmes. Ce dimanche le débat « Revu et corrigé » en a donné une belle illustration, tous les hommes fustigeant la possible toute-puissance des mères et l’importance pour les pères de construire leur relation à l’enfant grâce à la transmission de leur nom de famille. Cet été, le magazine Marie-Claire Belgique a réalisé un dossier sur le sujet qui donne largement la parole à deux psychologues : Patrick Traube et Diane Drory. « Le nom du père indique que le bébé n’est pas la propriété de la mère. Le nom joue donc un rôle phare, tant sur le plan sociétal que symbolique. L’effacer reviendrait à bêtement se venger d’un millénaire de patriarcat. La mère donne la vie, le père donne le nom, et c’est très bien comme ça ! » dont acte Monsieur Traube qui parle même de « rayer le père de la famille ». Mais la pourtant féministe Diane Drory n’est pas en reste : « Le père a besoin d’une vraie place. Si son nom n’est plus au premier plan, cela lui donne tous les prétextes pour se désinvestir ! ». Alors là c’est le pompon … une mère aurait donc un lien « naturel » avec l’enfant qui l’oblige à l’aimer et à s’en occuper alors qu’un père aurait besoin de donner son nom pour construire ce lien. Le moteur de l’amour d’un père est donc la flatterie de son égo ? Si c’est vrai, je n’ai pas besoin d’un père comme celui-là ni pour moi ni pour mes enfants!
J’ai trop d’estime pour le rôle du père pour le réduire à la transmission d’un nom. Les pères sont de plus en plus impliqués dans l’éducation de leurs enfants. Ils découvrent une nouvelle façon de transmettre leurs valeurs et leur masculinité sans devoir être plus absents que présents et plus autoritaires que câlins. Cette nouvelle coparentalité offre les meilleures garanties au bonheur de l’enfant et à son épanouissement.
Depuis que les hommes ont découvert qu’ils avaient un rôle dans la procréation, ils ont exercé leur domination sur les femmes et sur les enfants en les obligeant à porter leur nom de famille, qui symbolise leur droit de propriété. Cet acte aurait été extrêmement utile si la conséquence avait été une prise en charge des besoins matériels et affectifs des enfants par leur père. Mais la réalité est toute autre … sans parler des millénaires où femmes et enfants ont été abandonnés à leur sort après un viol, un amour hors mariage ou même dans de nombreux couples légitimes, encore aujourd’hui à Bruxelles, 9 enfants sur 10 en famille monoparentale ne vit qu’avec sa mère et une femme sur 6 qui accouche le fait sans qu’il y ait de père, et encore 95% des demandes au SECAL (service des créances alimentaires) sont le fait de mères ne percevant pas les pensions alimentaires de la part du père pour leurs enfants. Résultat : de tout temps les femmes seules avec enfants ont été et sont toujours les plus précaires et les plus sujettes à une grande pauvreté. En Belgique, 35% des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté.
Transmettre le nom du père n’est pas une condition nécessaire à ce qu’il s’occupe du bien être affectif et matériel de ses enfants. Et quelque part j’en suis ravie car cela est indécent de baser un lien aussi important sur un symbole aussi ténu. Il était donc temps d’en finir avec cette tradition archaïque, inégalitaire et discriminatoire.
Finissons-en aussi avec ces codes qui veulent que lors d’un dîner chic, ma place est signalisée par « Madame Roberto Rovai » soit le prénom et le nom de mon mari. La bonne éducation passerait donc par un effacement complet de qui je suis au profit de mon mari ? Pas avec moi …
Interpellons le plus possible ces femmes qui prennent le nom de leur époux (je pense surtout aux françaises et aux américaines) oubliant que 7 mariages sur 10 (à Bruxelles) se terminent par un divorce et que leur « marque personnelle » si importante pour leur carrière et leur reconnaissance sera à reprendre à 0. Heureusement, je suis tellement fière de l’histoire de ma famille que je n’ai jamais fantasmé sur le nom de mes amoureux aussi prestigieux soient-ils.
Et enfin, en l’honneur de notre maman, concrétisons la proposition de l’Institut pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes à l’occasion de la fête des mères en ajoutant son nom de famille à notre profil sur les réseaux sociaux. Le mien est Lenarduzzi-Mathieux.
Isabella Lenarduzzi