Editorials

- Isabella Lenarduzzi

Les 7 péchés capitaux de l’égalité professionnelle

JUMP a travaillé cet été sur son message. Nous avons délibérément choisi de remplacer « empower women » par « promoting gender equality » et l’avons adapté à tous nos produits à part pour le blog JUMP. Nous avons constaté que certains hommes pouvaient se sentir exclus de notre volonté d’atteindre plus d’égalité, malgré les thèmes des deux derniers Forum JUMP qui les engageaient à participer à l’évolution, malgré que notre dernière enquête ait été consacrée aux hommes pionniers qui inversent les rôles traditionnels dans leur couple, et malgré les dizaines d’articles écrits par moi ou d’autres et publiés dans le blogjump qui parlent de la nécessité d’avoir les hommes aux côtés des femmes pour avoir des entreprises plus mixtes et une société plus égalitaire.

Nous avons aussi transformé la Woman’s Academy en JUMP Academy et offrons désormais des ateliers sur l’égalité à des groupes d’hommes tout en maintenant notre offre d’ateliers de développement de carrière pour femmes.

Pourquoi  JUMP change son message ?

Parce que de plus en plus de responsables RH vivent une fronde de certains hommes (soutenus par quelques femmes qui n’ont pas conscience du jeu auquel elles participent) qui tentent de délégitimer les actions en faveur de plus de mixité. Ces saboteurs d’un processus vers plus d’égalité sont particulièrement bruyants dans les entreprises où l’engagement des dirigeants n’est pas assez fort ou pas suffisamment communiqué. On ne compte plus les entreprises qui n’osent pas avoir un réseau de femmes ou les réseaux de femmes qui se transforment en réseau mixtes (ce qui n’est pas toujours néfaste). Les actions en faveur de la mixité voient leur budget diminuer, leur manque de résultat reste non analysé et non expliqué, et l’absence criante d’indicateurs de performance de toutes les actions est de plus en plus répandue.

Il y aurait-il une guerre des sexes au bureau ?

Comme le dit l’expert norvégien en égalité, Curt Rice, toutes les études prouvent que les actions en faveur de l’égalité professionnelle et la fixation d’objectifs quantitatifs (quotas) augmentent sérieusement les compétences globales d’une équipe et renforcent la performance d’une entreprise. Ce résultat est atteint grâce à deux mécanismes : les entreprises qui s’engagent en faveur de l’égalité et qui le font savoir, attirent davantage de femmes à haut potentiel et la concurrence accrue pour les postes à responsabilité permet une meilleure sélection des dirigeants. Ce qui est vrai dans le monde des affaires, l’est aussi en politique comme le montre une étude réalisée sur la gestion des communes en Italie qui ont connu des élections obligatoirement paritaires (le système de la tirette) avant que ce système ne soit déclaré anticonstitutionnel. Ces communes ont vu monter le niveau de qualification de leurs élus par rapport aux autres communes non concernées et l’ont gardé depuis !

Mais les premières victimes de ce saut de qualité ce sont les managers médiocres. Pas uniquement, mais surtout, les hommes médiocres. Pas étonnant donc qu’ils diffusent une perception négative des efforts de mixité relayés par certaines femmes qui préfèrent démontrer qu’elles font partie du groupe des « dominants » et n’ont pas besoin d’être soutenues dans leur carrière. Malheureusement trop de femmes ne s’intéressent pas et donc ne comprennent pas les enjeux de l’égalité et ne peuvent dès lors pas être solidaires des hommes et des femmes qui prônent un leadership plus diversifié et plus inclusif.

JUMP garde bien entendu la couleur rose fuchsia comme symbole car si le rose devient une « couleur business » comme le noir, le gris ou le bleu, alors cela signifierait que les valeurs du féminin peuvent s’exprimer plus librement dans le monde des affaires et beaucoup de femmes se sentiront le droit de rester authentiques. Nous gardons également dans notre logo, la femme qui saute en portant une mallette, car pour rééquilibrer les genres dans l’entreprise ce sont surtout les femmes qui doivent faire un grand saut en avant.

Le « top management » a donc un rôle déterminant dans cette opposition des managers qui se sentent menacés par l’augmentation de la qualité des équipes. Faites connaître davantage votre engagement en posant votre candidature au wo.men@work award (29 septembre).

JUMP ne veut pas de guerre de sexes au bureau. Penser en ces termes, c’est faire perdurer un modèle basé sur les rapports de forces. C’est un modèle issu du patriarcat que nous devons anéantir pour le remplacer par des relations de partenariats respectueuses et joyeuses pour donner naissance à des entreprises inclusives et performantes qui contribueront à une société solidaire et durable.

McKinsey a publié cet été leur première analyse belge du rapport « Women Matter » qui existe depuis 2007. Cette étude a été réalisée sur une quarantaine de grandes entreprises et tente d’expliquer pourquoi tant d’organisations sondées sont déçues des résultats de leurs actions en matière d’égalité professionnelle (en particulier pour avoir plus d’équilibre entre femmes et hommes aux postes de direction). Malgré la loi sur les quotas votée en 2011 pour plus de parité dans les Conseils d’administration, la Belgique est encore à 12% de femmes administratrices et c’est pire au sein des comités de direction où la moitié des entreprises du Bel20 n’a aucune femme membre.

Alors quels sont les péchés régulièrement commis par le monde des affaires qui empêchent des résultats rapides et convaincants ?

L’IGNORANCE
Le manque de connaissance du sujet est très largement répandu. Il n’y a pas (ou presque) de rencontre avec les entreprises sans entendre « Mais est-ce que les femmes le veulent vraiment ? » ou « L’important c’est de promouvoir les meilleurs. Hors de question de faire de la discrimination positive ! ». La réalité est bien plus complexe et touche au plus profond de la culture de l’entreprise, du modèle de leadership en vigueur, des processus RH et de gestion des talents, des stéréotypes conscients et inconscients vis-à-vis des femmes mais aussi des hommes, … Avec près de 60% de femmes parmi les diplômés universitaires, s’il y avait une réelle méritocratie sans biais, les entreprises ne perdraient pas les talents féminins en masse à chaque stade de carrière !

LA SUPERFICIALITE
Si la gestion des talents est une réelle préoccupation, il faut en faire une priorité stratégique accompagnée d’analyses, d’un plan d’action, d’objectifs chiffrés et de moyens. « What’s get measured, gets done »

INCONSTANCE
On ne modifie pas les mentalités et donc la culture et les procédés d’une entreprise en quelques mois. C’est un travail de longue haleine qui demande de la patience et de la persévérance. C’est aussi le seul moyen de convaincre les plus réticents car ils observent que la « priorité stratégique » d’être une entreprise où tous les talents sont valorisés ne disparaît pas au premier changement de CEO ou après des résultats décevants.

INCONSISTANCE
L’égalité (équilibre entre les genres) et la diversité (représentation équilibrée des minorités) sont devenus des thèmes à la mode et « politiquement corrects ». Mais peu d’organisations réalisent ce qu’elles prêchent. Les personnes nommées responsables de cette matière le sont souvent en plus de leur fonction habituelle et sont dépourvues de budget et de visibilité au niveau de la direction. Pourtant la plupart d’entre elles sont enthousiastes et mobilisées. Mais si les moyens ne suivent pas, elles ne pourront faire que du « Window dressing »

EGALITE versus DIVERSITE
Les politiques d’égalité professionnelle se fondent souvent dans la « diversité ». Nous sommes tous hommes ou femmes. Nous avons donc tous un genre avec tout ce que cela comporte en terme de culture, de normes, et donc de comportement. Notre société est construite sur un modèle patriarcal donc sur la domination des hommes sur les femmes. Même si cela change profondément comme jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité, cela ne fait qu’une cinquantaine d’années que les femmes ont « envahi » le marché du travail sans que personne d’ailleurs ne le leur demande. Les femmes représentent désormais la partie de l’humanité la plus diplômée. C’est complètement différent pour tous les autres aspects de la diversité sans vouloir en diminuer l’importance pour une société plus inclusive. Si l’environnement est si différent, les modalités d’action doivent être complètement différentes.

PEUR DU FEMINISME
Le féminisme n’est rien d’autre qu’un idéal qui veut une égalité de droit entre les hommes et les femmes et qui veut que chaque être humain puisse faire les choix de vie qui lui convienne indépendamment des attentes de la société liées à son genre. Le concept de l’autonomie et de la liberté de l’individu est au centre même de cet idéal. Le féminisme est la plus grande révolution du siècle dernier et c’est le plus grand cadeau aux femmes et aux hommes de cette terre. Et pourtant … de nombreuses entreprises ont peur de réaliser des programmes d’égalité sous peine d’être targués de « féministes ». Il s’agit d’égalité, de liberté mais surtout de gestion des talents et de performance. Rien d’autre !

DISCRIMINATION POSITIVE
Il ne s’agira jamais de promouvoir des incapables (ah si tous les responsables étaient à la hauteur de leur fonction !). Il ne s’agira jamais d’une guerre de pouvoir entre les hommes et les femmes. Il ne s’agit que de gérer correctement tous les talents d’une entreprise en mettant toutes les conditions en place pour que chacun et chacune puisse donner le maximum de soi, utiliser tous ses talents et se sentir réellement respecté et valorisé pour qui il ou elle est. C’est un parcours à réaliser en impliquant réellement tous les dirigeants mais aussi la majorité des membres de l’entreprise: les hommes !